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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/311

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DE MADAME DE CAYLUS.

prose, scène par scène, avant d'en faire les vers), mais il porta même le premier acte tout fait. Mme de Maintenon en fut charmée, et sa modestie ne put l'empêcher de trouver dans le caractère d'Esther, et dans quelques circonstances de ce sujet, des choses flatteuses pour elle. La Vasthi [1] avait ses applications, Aman avait de grands traits de ressemblance. M. de Louvois avait même dit à Mme de Maintenon, dans le temps d'un démêlé qu'il eut avec le roi, les mêmes paroles d'Aman lorsqu'il parle d'Assuérus : il sait qu'il me doit tout.

Esther fut représentée un an après la résolution que Mme de Maintenon avait prise de ne plus laisser jouer des pièces profanes à Saint-Cyr. Elle eut un si grand succès que le souvenir n'en est pas encore effacé. Jusque-là il n'avait point été question de moi, et on n'imaginait pas que je dusse y représenter un rôle ; mais, me trouvant présente aux récits que Racine venait faire à Mme de Maintenon de chaque scène, à mesure qu'il les composait, j'en retenais des vers ; et comme j'en récitai un jour à M. Racine, il en fut si content qu'il demanda en grâce à Mme de Maintenon de m'ordonner de faire un personnage, ce qu'elle fit. Mais je n'en voulus point de ceux qu'on avait déjà destinés : ce qui l'obligea de faire pour moi le prologue de la pièce. Cependant, ayant appris, à force de les entendre, tous les autres rôles, je les jouai successivement, à mesure qu'une des actrices se trouvait incommodée : car on représenta Esther tout l'hiver, et cette pièce, qui devait être renfermée dans Saint-Cyr, fut vue plusieurs fois du roi et de toute sa cour, toujours avec le même applaudissement [2].

  1. Mme de Maintenon, dans une de ses lettres, dit, en parlant de Mme de Montespan :

    Après la fameuse disgrâce
    De l'altière Vasthi, dont je remplis la place (a).
  2. On cadençait alors les vers dans la déclamation ; c'était une espèce de mélopée. Et en effet les vers exigent qu'on les récite autrement que la prose. Comme, depuis Racine, il n'y eut presque plus d'harmonie dans les vers raboteux et barbares qu'on mit jusqu'à nos jours sur le théâtre, les comédiens s'habituèrent insensiblement à réciter les vers comme de la prose ; quelques-uns poussèrent ce mauvais goût jusqu'à parler du ton dont on lit la gazette ; et peu, jusqu'au sieur Lekain, ont mêlé le pathétique et le sublime au naturel. Mme de Caylus est la dernière qui ait conservé la déclamation de Racine : elle récitait admirablement la première scène d'Esther ; elle disait que Mme Maintenon la lisait aussi d'une manière fort touchante. Au reste, Esther n'est pas une tragédie, c'est une histoire de l'Ancien Testament mise en

    (a) M. T. Lavallée a démontré que cette lettre est apocryphe. Cette note, du reste, est d'Auger, non de Voltaire.