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LES ADORATEURS,

Adorons cet Être des êtres que les peuples du Gange, policés avant les Sères, reconnaissaient dans des temps encore plus reculés, sous le nom de Birmah, père de Brama et de toutes choses, et qui fut invoqué sans doute dans les révolutions innombrables qui ont changé si souvent la face de notre globe.

Adorons ce grand Être, nommé Oromase chez les anciens Perses. Adorons ce Démiourgos que Platon célébra chez les Grecs, ce Dieu très-bon et très-grand, optimum, maximum, qui n'était point appelé d'un autre nom chez les Romains, lorsque dans le sénat ils dictaient des lois aux trois quarts de la terre alors connue.

C'est lui qui, de toute éternité, arrangea la matière dans l'immensité de l'espace. Il dit, et tout exista ; mais il le dit avant les temps ; il est l'Être nécessaire : donc il fut toujours. Il est l'Être agissant : donc il a toujours agi ; sans quoi il n'aurait été dans une éternité passée que l'Être inutile. Il n'a pas fait l'univers depuis peu de jours, car alors il ne serait que l'Être capricieux.

Ce n'est ni depuis six mille ans, ni depuis cent mille que ses créatures lui durent leurs hommages : c'est de toute éternité. Quel resserrement d'esprit, quelle absurde grossièreté de dire : Le chaos était éternel, et l'ordre n'est que d'hier! Non, l'ordre fut toujours, parce que l'Être nécessaire, auteur de l'ordre, fut toujours.

C'est ainsi que pensait le grand saint Thomas dans la Somme de la foi catholique (liv. II, chap. III). « Dieu a eu la volonté pendant toute l'éternité, ou de produire l'univers ou de ne le pas produire ; or il est manifeste qu'il a eu la volonté de le produire : donc il l'a produit de toute éternité, l'effet suivant toujours la puissance d'un agent qui agit par volonté. »

A ces paroles sensées, qu'on est bien étonné de trouver dans saint Thomas, j'ajoute qu'un effet d'une cause éternelle et nécessaire doit être éternel et nécessaire comme elle.

Dieu n'a pas abandonné la matière à des atomes qui ont eu sans cesse un mouvement de déclinaison, ainsi que l'a chanté Lucrèce, grand peintre, à la vérité, des choses communes qu'il est aisé de peindre, mais physicien de la plus complète ignorance.

Cet Être suprême n'a pas pris des cubes, des petits dés pour en former la terre, les planètes, la lumière, la matière magnétique, comme l'a imaginé le chimérique Descartes dans son roman appelé Philosophie.

Mais il a voulu que les parties de la matière s'attirassent réciproquement en raison directe de leurs masses, et en raison inverse du carré de leurs distances ; il a ordonné que le centre