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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/325

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OU LES LOUANGES DE DIEU.

Je laisse à d’autres le soin de faire admirer les angles égaux au sommet que la lumière forme dans notre cornée, les réfractions qu’elle éprouve dans l’uvée, dans le cristallin, les tableaux qu’elle trace sur la rétine. Qu’ils célèbrent la conque de l'oreille, l’os pierreux, le tambour, le tympan et sa corde, le marteau, l’enclume, et l’étrier ; et qu’après avoir examiné tous ces instruments de l’ouïe ils ignorent profondément comme on peut entendre.

Qu’on dissèque mille cerveaux sans pouvoir jamais soupçonner par quels ressorts il s’y formera une pensée.

Je laisse Borelli[1] attribuer au cœur une force de quatre-vingt mille livres, que Keill[2] réduit à cinq onces. Je laisse Hecquet[3] faire de l’estomac un moulin, et Van Helmont[4] un laboratoire de chimie.

Je m’arrête à considérer, avec autant de reconnaissance que d’étonnement, la multiplicité, la finesse, la force, la souplesse, la proportion des ressorts par lesquels nous avons reçu et nous donnons la vie.

Dépouillez ces organes de la chair qui les couvre et des accompagnements qui les environnent, regardez-les avec des yeux d’un anatomiste : ils vous font horreur. Mais les deux sexes, dans la jeunesse, ne les voient qu’avec les yeux de la volupté ; ils parlent à votre imagination, ils l’embrasent, ils se gravent dans votre mémoire. Un nerf part du cerveau, il tourne auprès des yeux, de la bouche, et passe auprès du cœur, il descend aux organes de la génération, et de là vient que les regards sont les avant-coureurs de la jouissance.

Si dans cette jouissance vous saviez ce que vous faites, si vous étiez assez malheureux pour vous occuper du prodigieux artifice de la génération, de cette mécanique admirable de leviers, de cette contraction de fibres, de cette filtration de liqueurs, vous ne pourriez consommer les vues de la nature ; vous trahiriez le grand Être, qui vous a donné les organes de la génération pour la produire et non pour la connaître. Vous lui obéissez en aveugle, et plus vous êtes ignorant, mieux vous le servez. Vous n’en savez

  1. Physiologiste, né en 1608, mort en 1679. Auteur de l’ouvrage intitulé De Motu animalium, 1680.
  2. Frère du célèbre mathématicien Jean Keill.
  3. Médecin, né en 1661, mort en 1737, auteur De la Digestion et des Maladies de l’estomac. C’est lui que Le Sage a désigné sous le nom du docteur Sangrado.
  4. Né en 1577, mort en 1644. Il admettait deux principes vitaux, dont l’un avait son siège dans l’estomac, et l’autre dans la rate.