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OU LES LOUANGES DE DIEU.

leur donne leur sang, leurs viscères, leurs mouvements ; celui de qui tout émane, de qui procède tout être, et par conséquent toute manière d'être.

Plusieurs animaux ont le don de perfectionner leur instinct. Il y a des singes, des éléphants, qui ont plus d'esprit que d'autres, c'est-à-dire plus de mémoire, plus d'aptitude à combiner un nombre d'idées. Nous voyons des chiens de chasse apprendre leur métier en trois mois, et devenir d'excellents chefs de meute, tandis que d'autres restent toujours dans la médiocrité. Plusieurs chevaux ont aimé et défendu leurs maîtres ; plusieurs ont été rebelles et ingrats, mais c'est le petit nombre. Un cheval bien traité, bien nourri, caressé par son maître, est beaucoup plus reconnaissant qu'un courtisan. Presque tous les quadrupèdes et les reptiles mêmes perfectionnent, en vieillissant, leur instinct jusqu'aux bornes prescrites : les fouines, les renards, les loups, en sont une preuve évidente ; un vieux loup et sa compagne font toujours mieux la guerre que les jeunes. L'ignorance et la démence peuvent seules combattre ces vérités dont nous sommes témoins tous les jours. Que ceux qui n'ont pas eu le temps et la commodité d'observer la conduite des animaux lisent l'excellent article INSTINCT [1] dans l'Encyclopédie : ils seront convaincus de l'existence de cette faculté qui est la raison des bêtes, raison aussi inférieure à la nôtre qu'un tourne-broche l'est à l'horloge de Strasbourg ; raison bornée, mais réelle ; intelligence grossière, mais intelligence dépendant des sens comme la nôtre : faible et incorruptible ruisseau de cette intelligence immense et incompréhensible qui a présidé à tout en tout temps.

Un Espagnol nommé Percira [2] , qui n'avait que de l'imagination, s'en servit pour hasarder de dire que les bêtes n'étaient que des machines dépourvues de toute sensation : il fit de Dieu un joueur de marionnettes, occupé continuellement à tirer les cordons de ses personnages, à leur faire jeter les cris de la joie et de la douleur sans qu'ils ressentissent ni douleur ni joie, à les accoupler sans amour, à les faire manger et boire sans soif et sans faim. Descartes, dans ses romans, adopta cette charlatanerie impertinente : elle eut cours chez des ignorants qui se croyaient savants.

Le cardinal de Polignac, homme de beaucoup d'esprit, et qui

  1. Par Diderot.
  2. Gomez Pereira, médecin espagnol au XVIe siècle, auteur de Antoniana Margarila, opus physicis, medicis ac theologis non minus utile quam necessarium, 1554, a un grand article dans le Dictionnaire de Bayle.