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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/340

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DÉFENSE

placées, a-t-on jamais traité la philosophie avec plus de netteté et d’agrément que dans ce même livre de la Pluralité des mondes, production du siècle de Louis XIV, dans un goût absolument nouveau ?

Si vous passez aux autres arts, qui dépendent moins de la profondeur de la pensée, à l’architecture, à la peinture, à la sculpture, à la musique, il faudra toujours mettre au premier rang ce Perrault, auteur de la façade du Louvre et de la Traduction de Vitruve, les Poussin, les Lebrun, les Le Sueur, les Girardon ; il ne faudra pas tourner en ridicule Lulli, qui, né Italien, trouva le secret d’inventer le seul récitatif qui convînt à la langue française, et qui le premier enseigna la musique à un peuple qui ne la savait pas.

Comment s’est-il pu faire que tant d’hommes, supérieurs dans tant de genres différents, aient fleuri tous ensemble dans le même âge ? Ce prodige était arrivé trois fois dans l’histoire du monde, et peut-être ne reparaîtra plus.

Sortons de la carrière des beaux-arts pour considérer les grands capitaines et les habiles ministres ; nous avouerons que la gloire des Condé, des Turenne, des Luxembourg, des Villars, ne sera jamais éclipsée ; et nous redirons que le nom de Colbert doit être immortel.

Henri IV, que nous révérons aujourd’hui, et que nous aimons, si on l’ose dire, comme un dieu tutélaire, était un très-grand homme ; mais le temps de Louis XIV fut un très-grand siècle. A peine notre Henri IV eut-il le temps de réparer les brèches de la France, et le sang qu’elle avait perdu pendant près de quarante années de guerres civiles et de fanatisme.

Repassons les temps qui suivirent le crime épouvantable de sa mort (uniquement commis par la superstition), jusqu’au moment où Louis XIV régna par lui-même ; tout fut odieux et funeste, et ce temps contient encore quarante années.

Voilà donc quatre-vingts ans pendant lesquels, si j’en excepte les dix belles années du héros de la France, je ne vois que confusion, discorde, séditions, guerres civiles, fanatisme affreux, tyrannie de toute espèce, pauvreté, et ignorance. Je ne crois pas que, depuis François II jusqu’à l’extinction de la Fronde en France, il y ait eu un seul jour sans meurtre. Le plus abominable de tous, celui qui fait encore verser des larmes, est celui de cet adorable Henri IV, dont toutes les faiblesses sont si pardonnables, et dont toutes les vertus sont si héroïques.

Ce sont donc ces quatre-vingts années dont je parle, qui sont