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DE LOUIS XIV.

funestes et désastreuses, et non pas le siècle de Louis XIV, pendant lequel notre nation, aujourd'hui si célèbre dans l'Europe par l'opéra-comique, fut le modèle des nations en tout genre.

J'ai moins fait l'histoire de Louis XIV que celle des Français : mon principal but a été de rendre justice aux hommes célèbres de ce temps illustre dont j'ai vu la fin ; mais je n'ai pas dû être injuste envers celui qui les a tous encouragés. Puisse la raison, qui s'affaiblit quelquefois dans la vieillesse, me préserver de ce défaut trop ordinaire d'élever le passé aux dépens du présent ! Je sais que la philosophie, les connaissances utiles, le véritable esprit, n'ont jamais fait tant de progrès parmi les gens de lettres que dans les jours où j'achève de vivre ; mais qu'il me soit permis de défendre la cause d'un siècle à qui nous devons tout, et d'un roi qui n'a pas été assurément indigne de son siècle.

Je porte les yeux sur toutes les nations du monde, et je n'en trouve aucune qui ait jamais eu des jours plus brillants que la française depuis 1655 jusqu'à 1704. Je prie tous les hommes sages et désintéressés de juger si un petit nombre d'années très-malheureuses dans la guerre de la Succession doivent flétrir la mémoire de Louis XIV. Je leur demande s'il faut juger par les événements ? Je leur demande si le feu roi devait priver son petit-fils du trône que le roi d'Espagne lui avait laissé par son testament, et où ce jeune prince était appelé par les vœux de toute la nation ? Philippe V avait pour lui les lois de la nature, celles du droit des gens, celles mêmes par qui toutes les familles de l'Europe sont gouvernées, les dernières volontés d'un testateur [1], les acclamations de l'Espagne entière : disons la vérité, il n'y a jamais eu de guerre plus légitime.

Louis XIV la soutint seul avec constance pendant plusieurs années ; il la finit heureusement après les plus grandes infortunes. C'est à lui que le roi d'Espagne d'aujourd'hui [2], le roi de Naples [3] le duc de Parme [4], doivent leurs États.

Je n'ai pas justifié de même (et Dieu m'en garde !) la guerre contre la Hollande [5], qui lui attira celle de 1689. L'Europe a pro-

  1. Il est très-singulier que Voltaire mette au nombre des titres de Philippe V à la couronne d'Espagne les dernières volontés d'un testateur, lui qui, dans le chant VI de la Henriade, dit que, lorsqu'une race royale est éteinte,
    Le peuple au même instant rentre en ses premiers droits. (B.)
  2. Charles III.
  3. Ferdinand IV, petit-fils de Philippe V, roi d'Espagne.
  4. Ferdinand, autre petit-fils de Philippe V.
  5. Voyez tome XIV, pages 248-249.