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372 COUTUME

avec le nom de cette province, et avec les maximes les plus chères à la nation française sur la liberté.

Être Français, c'est être libre ; ce nom seul est le signe de la propriété de sa personne. Cependant la moitié des Francs-Com- tois est privée de cette propriété, qu'un étranger acquiert en en- trant en France, quoique depuis un siècle cette moitié se glorifie avec l'autre moitié de porter le nom français. Cet abus tient à la coutume de cette province. Il faut prévenir bien sérieusement le lecteur qui daignera s'occuper un moment de cette discussion que nous parlons d'une province de l'empire français, d'une cou- tume existante dans sa force la plus rigoureuse; coutume appuyée d'une jurisprudence aussi terrible qu'elle, et d'un vaste commen- taire plus terrible encore.

Cette coutume donc, cette jurisprudence, établissent l'escla- vage sur environ la moitié du peuple comtois. Le commentateur de cet esclavage le fait descendre de l'esclavage chez les Romains; il en recherche et développe curieusement les rapports, les res- semblances, les modifications, les différences.

Distinguons, avec l'auteur et sa coutume, deux espèces de mainmortes ou d'esclavages : l'un, proprement dit, est celui de la personne ; l'autre est celui des fonds.

La condition de la personne constituée en mainmorte (c'est le terme de la coutume) est telle que le seigneur est nécessaire- ment son héritier si elle meurt sans que ses enfants ou proches parents vivent et demeurent avec elle dès la naissance sans inter- ruption, et usent du même pot et feu. Un enfant ne peut donc s'occuper d'un établissement ni d'aucune fonction qui exigerait sa séparation d'avec son père; il faut que dans l'indolence il attende la succession paternelle au coin de son feu> sinon elle est dévolue au seigneur. Voilà une des causes du peu d'industrie, de l'inertie, de la rusticité d'une partie du peuple comtois. Que ferait-il des arts qui embellissent la vie, et du commerce qui nous enrichit, nous et notre postérité? Un seigneur, un moine inconnu en recueillerait le fruit. Ce Comtois végète donc un instant péni- blement sur un sol où des lois barbares l'ont attaché, et y meurt inutile à lui, à sa triste postérité qu'il est si doux de servir, même ingrate, et à sa nation qu'il aime.

L'héritage mainmortable est ainsi nommé parce que celui qui le tient ne peut en disposer. Son titre de propriété se réduit à une espèce de bail perpétuel, sous la condition de ne pouvoir l'hypothéquer ni aliéner, et à charge de retour au seigneur en cas de mort ou de passage du possesseur à la liberté. L'imperfec-

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