Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
431
ET DE SA FEMME.

soupçons : elles ont appris que, la veille de sa mort, la Montbailli, étant ivre, avait voulu chasser de sa maison son fils et sa belle-fille ; qu’elle leur avait fait même signifier, par un procureur, un ordre de déloger ; que lorsqu’elle eut repris un peu ses sens, ses enfants se jetèrent à ses genoux, qu’ils l’apaisèrent, et qu’elle les remit au lendemain matin pour achever la réconciliation. On imagina que Montbailli et sa femme avaient pu assassiner leur mère pour se venger : car ce ne pouvait être pour hériter, puisqu’elle a laissé plus de dettes que de bien.

Cette supposition, tout improbable qu’elle était, trouva des partisans, et peut-être parce qu’elle était improbable. La rumeur de la populace augmenta de moment en moment, selon l’ordinaire ; le cri devint si violent que le magistrat fut obligé d’agir : il se transporte sur les lieux ; on emprisonne séparément Montbailli et sa femme, quoiqu’il n’y eût ni corps de délit, ni plainte, ni accusation juridique, ni vraisemblance de crime.

Les médecins et les chirurgiens de Saint-Omer sont mandés pour examiner le cadavre et pour faire leur rapport. Ils disent unanimement que « la mort a pu être causée par une hémorragie que la plaie de l’œil a produite, ou par une suffocation ».

[1]Quoique leur rapport n’ait pas été assez exact, comme le prouve le professeur Louis, il était pourtant suffisant pour disculper les accusés. On trouva quelques gouttes de sang auprès du lit de cette femme ; mais elles étaient la suite évidente de la blessure qu’elle s’était faite à l’œil en tombant. On trouva une goutte de sang sur l’un des bas de l’accusé ; mais il était clair que c’était un effet de sa saignée. Ce qui le justifiait bien davantage, c’était sa conduite passée, c’était la douceur reconnue dans son caractère. On ne lui avait rien reproché jusqu’alors ; il était moralement impossible qu’il eût passé en un moment de l’innocence de sa vie au parricide, et que sa jeune femme eût été sa complice. Il était physiquement impossible, par l’inspection du cadavre, que la mère fût morte assassinée ; il n’était pas dans la nature que son fils et sa fille eussent dormi tranquillement après ce crime, qui aurait été leur premier crime, et qu’on les eût vus toujours sereins dans tous les moments où ils auraient dû être saisis de toutes les agitations que produisent nécessairement le remords d’une si horrible action et la crainte du supplice. Un scélérat endurci peut affecter de la tranquillité dans le parricide : mais deux jeunes époux !

  1. La première phrase de cet alinéa n’était pas reproduite en 1774.