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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/45

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DE L’EMPEREUR JULIEN.

Capitolin, d’où le temple du grand Jupiter prit son nom. Mettrons-nous ces bienfaits et ces présents des dieux au nombre des premiers ou des seconds qu’ils font aux nations ? Mais vous, Galiléens, les plus malheureux des mortels par votre prévention, lorsque vous refusez d’adorer le bouclier tombé du ciel, honoré depuis tant de siècles par vos ancêtres comme un gage certain de la gloire de Rome, et comme une marque de la protection directe de Jupiter et de Mars, vous adorez le bois d’une croix, vous en faites le signe sur votre front, et vous le placez dans le plus fréquenté de vos appartements. Doit-on haïr, ou plaindre et mépriser ceux qui passent chez vous pour être les plus prudents, et qui tombent cependant dans des erreurs si funestes ? Ces insensés, après avoir abandonné le culte des dieux éternels, suivi par leurs pères, prennent pour leur dieu un homme mort chez les Juifs.

L’inspiration divine que les dieux envoient aux hommes n’est le partage que de quelques-uns, dont le nombre est petit ; il est difficile d’avoir part à cet avantage, et le temps n’en peut être fixé. Ainsi les oracles et les prophéties non-seulement n’ont plus lieu chez les Grecs, mais même chez les Égyptiens. L’on voit des oracles fameux cesser dans la révolution des temps : c’est pourquoi Jupiter, le protecteur et le bienfaiteur des hommes, leur a donné l’observation des choses qui servent à la divination, afin qu’ils ne soient pas entièrement privés de la société des cieux, et qu’ils reçoivent, par la connaissance de cette science, les choses qui leur sont nécessaires.

Peu s’en est fallu que je n’aie oublié le plus grand des bienfaits de Jupiter et du Soleil : ce n’est pas sans raison que j’ai différé d’en parler jusqu’à présent. Ce bienfait ne regarde pas les seuls Grecs, mais toutes les nations qui y ont eu part. Jupiter ayant engendré Esculape[1] (ce sont des vérités couvertes par la


    il vient un temps où le plus bas peuple n’en veut plus. Les savetiers de Stockholm, d’Amsterdam, de Londres, de Berlin, les réprouvent. Il est temps que le reste de l’Europe devienne raisonnable. (Note de Voltaire.)

  1. Il faut plaindre Julien s’il a cru de bonne foi à Esculape. Mais il dit : « Ce sont des vérités couvertes par la fable. » Il semble que le fond de sa pensée soit seulement que la médecine est un don de Dieu, que la Providence a mis sur la terre les remèdes à côté des maux, et que cette même Providence accorde à quelques hommes le talent très-rare d’être de bons médecins. Il faut du génie dans cet art comme dans tous les autres. Hippocrate était certainement un homme de génie ; et quand l’empereur reproche aux Hébreux de n’avoir jamais eu de pareils hommes, le reproche est très-juste. Ils n’eurent d’artistes en aucun genre. Ils avouent eux-mêmes que quand ils voulurent enfin avoir un temple comme les autres nations au lieu de promener un coffre de bourgade en bourgade, leur ma-