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DE L’EMPEREUR JULIEN.

Dites-moi, quel bien a-t-il fait, après sa naissance, à ses concitoyens, et quelle utilité ils en ont retirée ? Ils n’ont pas voulu croire en lui, et ont refusé de lui obéir. Mais comment est-il arrivé que ce peuple, dont le cœur et l’esprit avaient la dureté de la pierre, ait obéi à Moïse et qu’il ait méprisé Jésus, qui, selon vos discours, commandait aux esprits, marchait sur la mer, chassait les démons, et qui même, s’il faut vous en croire, avait fait le ciel et la terre ? Il est vrai qu’aucun de ses disciples n’a jamais osé dire rien qui concerne ce dernier article, si ce n’est Jean[1] qui s’est même expliqué là-dessus d’une manière


    turpitude, et qu’il fasse voir qu’il n’y eut alors ni de Cyrénius, ni de dénombrement. Mais point du tout ; vous trouvez tout de suite ces mots : « Dites-moi quel bien il a fait après sa naissance ? » Cela n’est point lié, cela n’a point de sens. Quel rapport le bien que Jésus n’a pas fait après sa naissance peut-il avoir avec Cyrénius et un faux dénombrement ? Il est clair qu’il y a ici une grande lacune. Julien a dû dire : Vous êtes des imposteurs ignorants ; vous ne savez ni en quelle année votre Jésus est né, ni sous quel proconsul. Vous imaginez, dans le galetas où vous avez écrit ce tissu d’absurdités, qu’il y eut un dénombrement universel, ce qui est très-faux ; mais en quelque temps et en quelque endroit que Jésus soit né, quel bien a-t-il fait ?

    Tel est le sens clair et naturel du texte.

    Quel bien a-t-il fait ? Ce n’est pas assurément aux Juifs, qui sont devenus le plus malheureux peuple du globe ; ce n’est pas à l’empire romain, dont les tristes débris languissent sur les bords du Danube ; ce n’est pas aux chrétiens, qui se sont continuellement déchirés. Si, pendant sa vie, on suppose, pour lui faire honneur, qu’il a chassé du temple des marchands [Jean, ii, 15] qui devaient y être ; qu’il a ruiné un marchand de cochons en les noyant [Matth., viii, 32 ; Marc, v, 13] ; qu’il a séché un figuier pour n’avoir pas porté des figues [Matth., xi, 19 ; Marc, xi, 13] « quand ce n’était pas le temps des figues » ; que le diable l’a emporté sur le haut d’une montagne [Matthieu, iv, 8; Luc, iv, 5], etc., etc. ; voilà certes de grands biens faits à la terre ! voilà des actions dignes d’un Dieu ! (Note de Voltaire.)

  1. L’empereur n’examine pas si cet Évangile est en effet de Jean. Il n’entre dans aucune discussion critique sur ces Évangiles, qui furent si ignorés des Romains pendant près de trois cents ans qu’aucun auteur romain ne cite jamais le mot d’évangile. Il y en avait cinquante-quatre faits en divers temps par les différentes sectes des chrétiens. Il est évident que celui qui fut attribué à Jean fut composé par un platonicien qui n’était que médiocrement au fait de la secte juive : car il fait dire à Jésus beaucoup de choses que Jésus n’a jamais pu dire. Entre autres celle-ci, ch. xiii, v. 34 : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez les uns les autres. » Ce commandement était fort ancien. La loi mosaïque avait dit, Lévitique, ch. xix, v. 18 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

    Observons que le mot de verbe, la doctrine du verbe, furent entièrement inconnus aux Juifs et aux premiers chrétiens. Quelques Juifs attendaient toujours un libérateur, un messie, mais jamais un verbe. La doctrine du premier chapitre attribué à Jean est probablement d’un chrétien platonicien d’Alexandrie. Si tous ces différents Évangiles se contredisent, ce n’est pas merveilles. Ils étaient tous faits secrètement dans de petites sociétés éloignées les unes des autres ; on ne les communiquait pas même aux catéchumènes. C’était un secret religieux ; pen-