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A M. DE BECCARIxL 487

cantes. L'équité naturelle est pour lui. Cette équité naturelle que Dieu a mise dans le cœur de tous les hommes est la base de toutes les lois. Faudra-t-il détruire ce fondement de toute justice pour condamner un homme à payer cent mille écus qu'il ne paraît pas devoir?

Il a fait des billets pour cent mille écus dans la vaine espé- rance qu'on lui donnerait l'argent; il a traité avec un jeune inconnu comme s'il avait traité avec le banquier du roi ou de l'impératrice-reine. Ses billets auront-ils plus de force que ses raisons? On ne doit certainement que ce qu'on a reçu. Les billets, les polices, les reconnaissances, supposent toujours qu'on a touché l'argent. Mais s'il y a des preuves qu'on n"a rien touché, on ne doit rien rendre. S'il y a écrit contre écrit, le dernier annule l'autre. Or ici, le dernier écrit est celui de Du Jonquay et de sa mère; et il porte que leur adverse partie n'a jamais reçu d'eux les cent mille écus, et qu'ils sont des fripons.

Quoi! parce qu'ils auront désavoué leur aveu, parce qu'ils auront reçu un coup de poing, on leur adjugerait le bien d'autrui !

Je suppose (ce qui n'est pas vraiseniblablc) que les juges, liés par les formes, condamnent le maréchal de camp à payer ce qu'il ne doit point, ne ruinent-ils ])as sa réputation ainsi que sa fortune? Tous ceux qui se sont élevés contre lui dans cette étrange aventure ne diront-ils pas qu'il a calomnieusement accusé ses adversaires d'un crime dont lui-même est coupable? Il perdra son honneur à leurs yeux en perdant son bien. Il ne sera justifié que dans l'esprit de ceux qui examinent profondé- ment : c'est toujours le très-petit nombre. Où sont les hommes qui aient le loisir, l'attention, la capacité, la bonne foi, de consi- dérer toutes les faces d'une affaire qui ne les regarde pas? Ils en jugent comme notre ancien parlement condamnait les livres sans les lire.

Vous le savez, on juge de tout sur des préjugés, sur parole, et au hasard. Personne ne fait réflexion que la cause d'un citoyen doit intéresser tous les citoyens, et que nous pouvons subir avec désespoir le sort sous lequel nous le voyons accablé avec des yeux indifférents. Nous écrivons tous les jours sur des jugements portés par le sénat de Rome et par l'aréopage d'Athènes ; à peine songeons-nous à ce qui se passe dans nos tribunaux !

Vous, monsieur, qui embrassez l'Europe dans vos recherches et dans vos décisions, daignez me prêter vos lumières. Il se peut, à toute force, que des formalités de chicane que je ne connais

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