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SUR UN ÉCRIT ANONYME.


7° Cette rage, qui m’a toujours dominé, m’a égaré jusqu’au point de douter que la terre fût un soleil encroûté[1], ou qu’elle fût originairement une comète. J’ai poussé surtout ma jalousie contre l’apothicaire Arnould jusqu’à dire que ses sachets n’ont pas toujours prévenu l’apoplexie. Mais aussi, comme il ne faut pas se faire plus méchant qu’on ne l’est, je n’ai point porté la perversité jusqu’à prétendre qu’il y eût la moindre charlatanerie dans les sciences et dans les arts. J’ai toujours reconnu, grâce au ciel, qu’il n’y a de charlatan en aucun genre.

8° Il est vrai que j’ai été si horriblement jaloux de l’Esprit des lois, dans mon métier de jurisconsulte, que j’ai osé avoir quelques opinions différentes de celles qu’on trouve dans ce livre, en avouant pourtant qu’il est plein d’esprit et de grandes vues, qu’il respire l’amour des lois et de l’humanité[2]. J’ai même parlé très-durement de ses détracteurs[3]. Ce procédé est d’un malhonnête homme, il faut en convenir.

J’ai fait plus, car, dans un livre auquel plusieurs gens de lettres ont travaillé avec un grand succès[4], l’article Gouvernement anglais est de moi ; et je finis cet article par dire : « Après avoir relu celui de Montesquieu, j’ai voulu jeter au feu le mien[5] » C’est là le langage de l’envie la plus détestable.

9° Je m’accuse d’avoir osé m’élever avec une colère peu chrétienne contre certains persécuteurs d’Helvétius[6] et de plusieurs gens de lettres ; d’avoir pris le parti des opprimés contre les oppresseurs ; d’avoir seul bravé leur orgueil, leurs cabales et leur malice ; mais d’avoir en même temps, par un esprit de jalousie, manifesté une très-petite partie des opinions dans lesquelles je diffère absolument de lui, de l’avoir dit à lui-même, parce que je l’aimais et l’estimais : c’est une infamie qui ne peut s’excuser.

10° Je me souviens aussi que cette même jalousie, qui me ronge, m’a forcé autrefois[7] de prouver que les tourbillons de Descartes étaient mathématiquement impossibles ; que sa matière subtile, globuleuse, cannelée, rameuse, était une chimère ; qu’il est faux que la lumière vienne du soleil à nous dans un instant ;

  1. Voyez tome XXVII, page 157.
  2. Voyez tome XIV, page 107.
  3. Voyez tome XXIII, page 457.
  4. Le Dictionnaire philosophique, que Voltaire faisait passer pour être de plusieurs mains.
  5. Voyez la variante rapportée en note, tome XIX, page 296.
  6. Voyez tome XX, page 321.
  7. Voyez tome XXII, pages 512 et suivantes.