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DE L’EMPEREUR JULIEN.

versification et qu’ils n’aient pas ignoré la logique. Quelle école de médecine les Hébreux ont-ils eue semblable à celle d’Hippocrate, et à plusieurs autres qui furent établies après la sienne ?

Mettons en parallèle le très-sage Salomon avec Phocylide, avec Théognis, ou avec Isocrate ; combien l’Hébreu ne sera-t-il pas inférieur au Grec ! Si l’on compare les Avis d’Isocrate avec les Proverbes de Salomon, l’on verra aisément que le fils de Théodore l’emporte beaucoup sur le roi très-sage. Mais, dira-t-on, Salomon avait été instruit divinement dans le culte et la connaissance de son Dieu ; qu’importe ? le même Salomon n’adora-t-il pas nos dieux, trompé[1] à ce que disent les Hébreux, par une


    l’huile. L’usage de quelques simples préparés par des femmes leur tenait lieu de tous médicaments ; et en cela seul ils étaient peut-être plus heureux que nous. Dans leurs maladies graves, ils avaient recours à leurs prêtres, à leurs devins, à leurs voyants, qu’ils appelèrent depuis prophètes, comme les Caraïbes à leurs jongleurs. Quand les Juifs connurent les diables, ils leur attribuèrent toutes les maladies : donc elles ne pouvaient être guéries que par les prêtres. Celui qui réchappait croyait que le prêtre l’avait guéri ; celui qui mourait était enterré. (Note de Voltaire.)

  1. L’empereur Julien n’examine pas si l’histoire de Salomon est vraie, et s’il a écrit les livres qu’on lui attribue ; il s’en tient à ce que les Juifs en disent. L’immensité de ses richesses, et le nombre de ses femmes, et ses livres, étonnent les pauvres gens de ce siècle. Mille femmes dans sa maison, à deux servantes seulement pour chaque dame, c’était trois mille femmes sous le même toit. S’il faisait, comme Doujat et Tiraqueau, un enfant à chaque femme et un livre par an, voilà de quoi peupler et de quoi instruire toute la terre.

    Il n’était pas moins grand mangeur que grand auteur. Le troisième livre des Rois, chap iv, v. 22 et 23, nous apprend qu’on consommait par jour, pour sa seule table, « quatre-vingt-dix tonneaux de farine, trente bœufs, cent moutons, autant de gibier, autant de cerfs, de chevreuils, de bœufs sauvages et de volaille ». Il n’est point parlé du vin ; mais puisque Salomon mangeait quatre-vingt-dix tonneaux de farine chaque jour, il est à croire qu’il avalait quatre-vingt-dix queues de vin. Ses écuries étaient encore plus admirables que ses cuisines, car le Saint-Esprit assure positivement, v. 26, « qu’il avait quarante mille écuries pour ses chevaux de carrosse, et douze mille chevaux de selle ». Il est vrai que le même Saint-Esprit, dans les Paralipomènes, liv. II, chap. i, v. 14, avoue ingénument que Salomon n’eut que « quatorze cents carrosses et douze mille chevaux de selle » ; mais aussi il faut considérer que ce même Saint-Esprit, se repentant de lui avoir donné si peu de chevaux au chapitre i, lui en accorde « quarante mille pour ses écuries », au chapitre ix, v. 25, outre « douze mille cavaliers ». Il faut avouer que de tous les rois qui ont fait des livres, il n’y en a aucun qui ait eu autant de carrosses que Salomon, pas même le roi de Prusse ; mais je crois que ce roi, tout huguenot qu’il est, a une meilleure cavalerie que Salomon. J’accorde en récompense qu’il a fait moins de proverbes. Mais il a fait des lois. Il a écrit l’histoire de son pays, qui vaut mieux que l’histoire juive.

    À l’égard des livres de Salomon, qui connut tout depuis le cèdre jusqu’à l’hysope, on pourrait les mettre avec ses sept cents épouses et ses trois cents concubines. Il est fort vraisemblable que quelque bel esprit juif donna ses rêveries sous le nom de Salomon, longtemps après le règne de ce prince. Il n’y a pas,