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DISCOURS

femme ? Ainsi donc le très-sage Salomon ne put vaincre la volupté ; mais les discours d’une femme vainquirent le très-sage Salomon. Ô grandeur de vertu ! ô richesses de sagesse ! Galiléens, si Salomon s’est laissé vaincre par une femme, ne l’appelez plus sage ; si au contraire vous croyez qu’il a été véritablement sage, ne pensez pas qu’il se soit laissé honteusement séduire. C’est par prudence, par sagesse, par l’ordre même de son Dieu, que vous croyez s’être révélé à lui, qu’il a honoré les autres dieux. L’envie est une passion indigne des hommes vertueux, à plus forte raison des anges et des dieux. Quant à vous, Galiléens, vous êtes fortement attachés à un culte particulier : c’est là une vaine ambition, et une gloire ridicule dont les dieux ne sont pas susceptibles.

Pourquoi étudiez-vous dans les écoles des Grecs, si vous trou-


    dans les Proverbes, une sentence qui fasse apercevoir que c’est un roi qui parle.

    « La divination [Proverbes, xvi, 10] est sur les lèvres du roi, et sa bouche ne trompera point dans ses jugements. » (Quel est le souverain assez fat pour parler ainsi de lui-même ?)

    « La colère du roi est un avant-coureur de la mort, l’homme sage tâchera de l’apaiser [xvi, 14]. »

    « La vie est dans la gaieté du visage du roi [xvi, 15], et sa clémence est comme une pluie du soir. » (Ne sont-ce pas là des discours d’esclaves ? Est-ce ainsi qu’un prince s’explique ?)

    « Celui qui cache son blé est maudit des peuples [xi, 26], et ceux qui vendent leurs blés sont bénis. » (Ce proverbe est apparemment d’un boulanger.)

    « L’espérance de celui qui attend est une perle très-agréable [xvii, 8] : de quelque côté qu’il se tourne, il agit prudemment. » (On ne voit pas trop en quoi consiste la beauté de ce proverbe, il ressemble à « Fiche ton nez dans mon épaule, et tu y trouveras du beurre salé. »)

    La description, au chapitre vii, d’une gourgandine qui attend un jeune homme au coin d’une rue n’est pas assurément d’une grande finesse. Julien ne se trompe pas en disant que les Grecs écrivaient mieux.

    Les chrétiens ont poussé la sottise, non-seulement jusqu’à croire ou à tâcher de croire ces livres d’un petit peuple détesté et persécuté par eux, mais jusqu’à admirer le style plat et grossier dans lequel ils sont écrits. C’est du sublime, à ce que disent les pédants de collège. Virgile n’a fait rien de si beau que ce verset d’un psaume : « Ouvre ta bouche bien grande [lxxx, 10], et tu la trouveras remplie de viande. » Tibulle n’a rien écrit de si délicat que le Cantique des cantiques : car il n’y est parlé que de tétons, de baisers sur la bouche, du doigt mis dans l’ouverture, et du ventre qui éprouve de petits tressaillements. Il faut absolument que ce soit le roi Salomon qui ait composé cette églogue ordurière. Il n’y a qu’un roi qui ait pu parler d’amour avec tant de finesse et de grâce. Et encore faut-il que ce soit un roi inspiré par Dieu même : car les ordures dont le Cantique des cantiques est plein sont visiblement le mariage de Jésus et de son Église. Julien ne nie pas qu’elle ait épousé Jésus, et qu’elle ait eu pour dot le sang des peuples ; mais il nie que le paillard Salomon soit un grand écrivain. (Note de Voltaire.)