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DISCOURS

Pallas, cette vierge née sans mère, règlent toutes ces choses. Voyez donc par combien d’avantages nous sommes supérieurs, par les conseils, par la sagesse, par les arts, soit que vous considériez ceux qui ont rapport à nos besoins, soit que vous fassiez attention à ceux qui sont simplement une imitation de la belle nature, comme la sculpture, la peinture. Ajoutons à ces arts l’économie, et la médecine qui, venant d’Esculape, s’est répandue par toute la terre, et y a apporté de grandes commodités dont ce dieu nous fait jouir. C’est lui qui m’a guéri de plusieurs maladies, et qui m’a appris les remèdes qui étaient propres à leur guérison : Jupiter en est le témoin[1]. Si nous sommes donc plus avantagés que vous des dons de l’âme et du corps, pourquoi, en abandonnant toutes ces qualités si utiles, avez-vous embrassé des dogmes qui vous en éloignent ?

Vos opinions sont contraires à celles des Hébreux[2], et à la loi qu’ils disent leur avoir été donnée par Dieu. Après avoir abandonné la croyance de vos pères, vous avez voulu suivre les écrits des prophètes, et vous êtes plus éloignés aujourd’hui de leurs

  1. Il est triste que Julien atteste le maître des dieux qu’il a appris la médecine d’Esculape. Il regarde comme des inspirations d’Esculape quelques remèdes qu’il a découverts par la sagacité de son génie. Il est bien vrai qu’à parler rigoureusement on peut regarder tout comme un don de Dieu. Toute découverte que fait un homme de génie n’est que le résultat des idées que Dieu nous donne : car nous ne nous donnons rien nous-mêmes, nous recevons tout. Homère reçut de Dieu le don de l’invention et de l’harmonie en poésie ; Archimède reçut le don de l’invention en mathématiques ; Hippocrate, celui du pronostic en médecine ; mais le texte de Julien semble supposer une inspiration particulière. Ce passage, pris à la lettre, serait moins d’un philosophe que d’un enthousiaste. Nous pensons qu’il ne faut l’entendre que dans un sens philosophique, et que Julien ne veut dire autre chose, sinon que tous les dons du génie sont des dons de la Divinité. (Note de Voltaire.)
  2. Julien met ici le doigt dans la plaie. Il est démontré que, de son temps, les dogmes des chrétiens étaient absolument contraires non-seulement à ceux des Juifs, mais à ceux de Jésus. Rien ne s’écarte plus de la loi du Christ que le christianisme. Jésus fut circoncis, Jésus recommanda l’observation de la loi mosaïque, Jésus ne mangea point de cochon, il ne dit pas un mot de la trinité, pas un mot du péché originel. On ne voit pas que Jésus ait jamais dit la messe. Le mot de sacrement ne se trouve pas plus dans l’Évangile que dans le Pentateuque. Les chrétiens ont changé de siècle en siècle toute sa religion, et ce qui est très-étrange, mais très-vrai, c’est que le mahométisme approche beaucoup plus de la religion de Jésus que le christianisme : car les musulmans sont circoncis comme lui, s’abstiennent du cochon comme lui, croient en un seul Dieu comme lui ; ils n’ont point imaginé de sacrements, ils n’ont point de simulacres. Si Jésus revenait au monde, et qu’il entrât dans la cathédrale de Rome chargée de peintures et de sculptures, retentissante des voix de deux cents châtrés, s’il y voyait un homme coiffé de trois couronnes, adoré sur un autel, et s’imaginant commander aux rois, de bonne foi reconnaîtrait-il sa religion ? (Id.)