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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/570

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560 PETITES HARDIESSES

Do droit, on n'en avait aucun. Quelle fut donc l'origine de cette fureur épidémique qui dura deux cents années, et qui fut toujours signalée par toutes les cruautés, toutes les perfidies, toutes les débauches, toute la démence dont la nature humaine est capable?

« L' armi pietose e '1 capitano, che '1 gran sepolcro liberô di Cristo col senno e con la mano', » est fort bon dans un poëme épique ; mais il n'en est pas de même dans l'histoire telle que le senno l'exige aujourd'hui.

Je hasarde de dire avec soumission, et en me trompant peut- être, que les papes conçurent ce vaste et hardi dessein de trans- porter l'Europe militaire en Asie. Les pèlerinages étaient fort à la mode ; ils avaient commencé dans l'Orient, à la Mecque, où les savants Arabes prétendaient qu'Abraham et Ismael étaient enter- rés. On avait imité ces émigrations passagères dans l'Occident. On allait visiter à Rome les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul, dont les corps reposent dans cette ville, selon les savants occidentaux ; mais l'opinion répandue depuis très-longtemps parmi les chrétiens, que le monde allait finir, avait, depuis près de cent ans, détourné les fidèles du pèlerinage de Rome au pèle- rinage de Jérusalem. Le tombeau de Jésus-Christ l'emportait, comme de raison, sur le tombeau de ses disciples, quoique après tout la saine critique n'ait pas plus de preuve démonstrative de l'endroit précis où notre Seigneur fut enseveli que de celui où gît le corps d'Abraham.

Le monde ne finissant point, et les Turcs, maîtres de Jérusa- lem, rançonnant les pèlerins, ces pieux voyageurs latins se plai- gnirent, non-seulement des Turcs, qui leur faisaient payer trop cher leur dévotion, mais encore plus des Arabes, qui les dépouil- laient, et beaucoup plus des Grecs chrétiens, qui ne les assistaient pas à leur retour par Constantinople : car les malheureux et les imprudents s'irritent plus contre leurs frères qui ne les secourent pas que contre les ennemis qui les dépouillent.

Le premier qui imagina d'armer l'Occident contre l'Orient, sous prétexte d'aider les pèlerins et de délivrer les saints lieux, fut ce pape Grégoire VII, ce moine si audacieux, cet homme si fourbe à la fois et si fanatique, si chimérique et si dangereux, cet ennemi de tous les rois, qui établit sa chaire de saint Pierre sur des trônes renversés. On voit par ses lettres qu'il s'était pro-

1. Voici le teste du Tasse : Jérusalem délivrée, chant l", vers 1-3.

Canto 1' armi pietose e '1 capitano Clie'l gran sepolcro libero di Cristo. AXolto egli oprô col senno e con la mano.

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