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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/59

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DE L’EMPEREUR JULIEN.

de ces dernières paroles : « jusques à ce que ce qui a été réservé arrive. » Cependant de quelque manière que vous lisiez ce passage, il est manifeste qu’il n’y a rien là qui regarde Jésus, et qui puisse lui convenir : il n’était pas de Juda, puisque vous ne voulez pas qu’il soit né de Joseph ; vous soutenez qu’il a été engendré par le Saint-Esprit. Quant à Joseph, vous tâchez de le faire descendre de Juda, mais vous n’avez pas eu assez d’adresse pour y parvenir, et l’on reproche avec raison à Matthieu et à Luc d’être opposés l’un à l’autre dans la généalogie de Joseph.

Nous examinerons la vérité de cette généalogie dans un autre livre[1] et nous reviendrons actuellement au fait principal. Supposons donc que Jésus soit un prince sorti de Juda, il ne sera pas « un dieu venu de Dieu », comme vous le dites ; ni toutes les choses n’ont pas été faites par lui, « et rien n’aura été fait sans lui[2] ». Vous répliquerez qu’il est dit, dans le livre des Nombres[3] : « Il se lèvera une étoile de Jacob et un homme d’Israël. » Il est évident que cela concerne David et ses successeurs, car David était fils de Jessé. Si cependant vous croyez pouvoir tirer quelque avantage de ces deux mots, je consens que vous le fassiez ; mais pour un passage obscur que vous m’opposerez, j’en ai un grand nombre de clairs que je citerai, qui montrent que Moïse n’a jamais parlé que d’un seul et unique dieu, du Dieu d’Israël[4]. Il dit dans le Deutéronome : « Afin que tu saches que le Seigneur ton Dieu est seul et unique, et qu’il n’y en a point d’autre que lui ; » et peu après : « Sache donc, et rappelle dans ton esprit, que le Seigneur ton Dieu est au ciel et sur la terre, et qu’il n’y

  1. Nous n’avons plus le livre de Julien, dans lequel il daigna examiner cette épouvantable et ridicule contradiction entre la généalogie donnée par Matthieu et celle donnée par Luc. Il releva sans doute avec son éloquence ordinaire la misérable absurdité de ces deux généalogistes, qui sont entièrement opposés sur le nombre et les noms des prétendus ancêtres de Jésus, et qui, pour comble d’impertinence, font la généalogie de Joseph, qui, selon eux, n’est pas père de ce Jésus, au lieu de faire la généalogie de Marie, qui, selon eux, ne fut engrossée que par le Saint-Esprit. Avec quelle force ce judicieux empereur dut-il faire voir l’abrutissement des misérables qui cherchent à pallier des mensonges si grossiers et si détestables ! Mais que ne dut-il point dire de ces monstres qui persécutent, qui livrent aux bourreaux, au fer, aux flammes, des hommes dont l’unique crime est de ne pas croire ces mensonges ! « Luc et Matthieu, deux demi-juifs demi-chrétiens, se contredisent : crois qu’ils ont parlé tous deux de même, ou je t’égorge. Tu ne peux le croire : dis que tu le crois, ou je te fais brûler. » Dieu de bonté ! jusqu’à quand cette inconcevable fureur règnera-t-elle dans une partie de la terre ? (Note de Voltaire.)
  2. Jean, i, 3.
  3. Nombres, chap. xxiv, v. 17. (Note de Voltaire.)
  4. Deutéronome, chap. v et vi. (Id.)