Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
DE L’EMPEREUR JULIEN.

qui es assis sur les chérubins, tu es le seul Dieu. » Voyez qu’Ésaïe ne laisse pas la liberté d’admettre aucun autre dieu.

Si le verbe est un dieu, venant de Dieu, ainsi que vous le pensez, s’il est produit par la substance de son père, pourquoi appelez-vous donc Marie la mère de Dieu ? Et comment a-t-elle enfanté un dieu, puisque Marie était un homme ainsi que nous ? De même comment est-il possible, lorsque Dieu dit lui-même dans l’Écriture : « Je suis le seul Dieu et le seul conservateur, » qu’il y ait un autre conservateur ? Cependant vous osez donner le nom de Sauveur à l’homme qui est né de Marie. Combien ne trouvez-vous pas de contradictions entre vos sentiments et celui des anciens écrivains hébreux !

Apprenez, Galiléens, par les paroles mêmes de Moïse, qu’il donne aux anges le nom de Dieu. « Les enfants de Dieu, dit-il[1], voyant que les filles des hommes étaient belles, ils en choisirent parmi elles dont ils firent leurs femmes ; et les enfants de Dieu ayant connu les filles des hommes, ils engendrèrent les géants qui ont été des hommes renommés dans tous les siècles. » Il est donc manifeste que Moïse parle des anges, cela n’est ni emprunté ni supposé. Il paraît encore, par ce qu’il dit, qu’ils engendrèrent des géants, et non pas des hommes. Si Moïse eût cru que les géants avaient eu pour pères des hommes, il ne leur en eût point cherché chez les anges, qui sont d’une nature bien plus élevée et bien plus excellente. Mais il a voulu nous apprendre que les géants avaient été produits par le mélange d’une nature mortelle et d’une nature immortelle. Considérons à présent que Moïse, qui fait mention des mariages des enfants des dieux, auxquels il donne le nom d’anges, ne dit pas un seul mot du fils de Dieu. Est-il possible de se persuader que s’il avait connu le verbe, le fils unique engendré de Dieu (donnez-lui le nom que vous voudrez), il n’en eût fait aucune mention, et qu’il eût dédaigné de le faire connaître clairement aux hommes, lui qui pensait qu’il devait s’expliquer avec soin et avec ostentation sur l’adoption d’Israël, et qui dit[2] : « Israël mon fils premier né ? » Pourquoi n’a-t-il donc pas dit la même chose de Jésus ? Moïse enseignait qu’il n’y avait qu’un Dieu qui avait plusieurs enfants ou plusieurs anges, à qui il avait distribué les nations ; mais il n’avait jamais eu aucune idée de « ce fils premier-né, de ce verbe Dieu », et de toutes les fables que vous débitez à ce sujet, et que vous avez

  1. Genèse, vi, 2 et suiv.
  2. Exode, chap. iv. (Note de Voltaire.)