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LETTRE DE CLAUSTRE

procureur Delaune, pour intenter un procès criminel à presque toute la famille chez laquelle il a vécu vingt-deux ans entiers, comme le maître de la maison. Je dis un procès criminel, car c’en est un très-réellement d’accuser le père et l’oncle du sieur Desmartres de l’avoir dépouillé de son bien pendant sa minorité, de l’avoir volé, de l’avoir maltraité, d’avoir soustrait des pièces. C’est là ce que le saint chicaneur impute à la famille ; c’est là sa doctrine chrétienne.

L’ardeur de son zèle l’en flamme au point qu’il veut embraser de la même charité jusqu’à la dame de La Flachère, sœur des sieurs de Laborde, et jusqu’à la dame de Cramayel, fille du fermier général. Il n’est rien qu’il ne tente, il n’est point de ressort qu’il ne fasse jouer pendant le cours du procès, pour attirer les deux dames dans son parti.

C’est surtout à la dame de La Flachère qu’il s’adresse : c’était une femme chrétienne, vertueuse encore plus que dévote, aimant véritablement la paix et la justice.

La lettre qu’il lui écrivit, le 14 avril 1768, dans la plus grande chaleur du procès, est curieuse et mérite l’attention des juges.


LETTRE DE L’APÔTRE CLAUSTRE
À MADAME DE LA FLACHÈRE.

« Un ministre[1] du Seigneur que sa providence a constitué le défenseur d’un opprimé ne doit négliger aucun des moyens humains qu’elle lui suggère pour arriver au but : il doit ne se lasser ni se rebuter de rien, quels que soient les obstacles qu’on lui oppose, les contradictions qu’on lui fasse essuyer, les dangers même auxquels il puisse être exposé : il doit, revêtu des armes de la vérité, combattre, sous l’autorité des lois, à temps et à contre-temps, à droite et à gauche[2], avec la bonne et la mauvaise réputation.

« Vous avez de la religion, vous craignez Dieu ; vous voulez lui plaire et vous sauver ; vous vaquez assidûment à la prière, aux œuvres de charité ; vous fréquentez les sacrements ; vous

  1. Quel ministre ! un précepteur, régisseur de la terre de Cramayel, à douze cents livres de gages, qui séduit un fils de famille pour lui faire épouser sa nièce Boutaudon, à l’insu de ses parents ! (Note de Voltaire.)
  2. Quel ministre du Seigneur, qui soutient qu’il faut plaider à contre-temps avec sa mauvaise réputation ! (Id.)