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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

sinats. On a les journaux des siéges de vingt places inconnues en Europe, mal fortifiées, mal attaquées et mal défendues ; ce n’est pas là notre objet. Mais nous ne pouvons passer sous silence l’action d’un officier français nommé de La Touche, qui, avec trois cents soldats seulement, pénétra la nuit dans le camp d’un des plus grands princes de ces contrées, lui tua douze cents hommes sans perdre plus de trois soldats, et dispersa par ce succès inouï une armée de près de soixante mille Indiens, renforcée de quelques troupes anglaises. Un tel événement fait voir que les habitants de l’Inde ne sont guère plus difficiles à vaincre que l’étaient ceux du Mexique et du Pérou. Il nous montre combien la conquête de ce pays fut facile aux Tartares et à ceux qui l’avaient subjugué auparavant.

Les mœurs, les usages antiques, se sont conservés dans ces contrées, ainsi que les habillements ; tout y est le contraire de nous ; la nature et l’art n’y sont point les mêmes. Parmi nous, après une grande bataille, les soldats vainqueurs n’ont pas un denier d’augmentation de paye ; dans l’Inde, après un petit combat, les nababs donnaient des millions aux troupes d’Europe qui avaient pris leur parti. Chandazaëb, l’un des princes protégés par M. Dupleix, fit présent aux troupes d’environ deux cent mille francs, et d’une terre de neuf à dix mille livres de rente à leur commandant le comte d’Auteuil. Le souba Mouzaferzingue, en une autre occasion, fit distribuer douze cent cinquante mille livres à la petite armée française, et en donna autant à la compagnie. M. Dupleix eut encore une pension de cent mille roupies (deux cent quarante mille livres de France), dont il ne jouit pas longtemps. Un ouvrier gagne trois sous par jour dans l’Inde : un grand a de quoi faire ces profusions.

Enfin le vice-gérant d’une compagnie marchande reçut du Grand Mogol une patente de nabab. Les Anglais lui ont soutenu que cette patente était supposée, que c’était une fraude de la vanité pour en imposer aux nations de l’Europe dans l’Inde. Si le gouverneur français avait usé d’un tel artifice, il lui était commun avec plus d’un nabab et d’un souba. On achetait à la cour de Delhi de ces faux diplômes, qu’on recevait ensuite en cérémonie par un homme aposté, soi-disant commissaire de l’empereur. Mais soit que le souba Mouzaferzingue et le nabab Chandazaëb, protecteurs et protégés de la compagnie française, eussent en effet obtenu pour le gouverneur de Pondichéry ce diplôme impérial, soit qu’il fût supposé, il en jouissait hautement. Voilà un agent d’une société marchande devenu souverain, ayant des