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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

et par le respect pour ses grandes actions, de le déclarer innocent. M. Bertin, l’un de ses juges, depuis ministre d’État, fut principalement celui dont l’équité lui sauva la vie. Quelques ennemis, que sa fortune, ses exploits et son mérite, lui suscitaient encore, voulaient sa mort. Ils furent bientôt satisfaits ; il mourut[1] au sortir de sa prison, d’une maladie cruelle que cette prison lui avait causée. Ce fut la récompense du service mémorable rendu à sa patrie.

Le gouverneur Dupleix s’excusa dans ses Mémoires sur des ordres secrets du ministère. Mais il n’avait pu recevoir à six mille lieues des ordres concernant une conquête qu’on venait de faire, et que le ministère de France n’avait jamais pu prévoir. Si ces ordres funestes avaient été donnés par prévoyance, ils étaient formellement contradictoires avec ceux que La Bourdonnaie avait apportés. Le ministère aurait eu à se reprocher la perte de neuf millions dont on priva la France en violant la capitulation, mais surtout le cruel traitement dont il paya le génie, la valeur, et la magnanimité de La Bourdonnaie.

M. Dupleix répara depuis sa faute affreuse et ce malheur public en défendant Pondichéry pendant quarante-deux jours de tranchée ouverte contre deux amiraux anglais soutenus des troupes d’un nabab du pays. Il servit de général, d’ingénieur, d’artilleur, de munitionnaire ; ses soins, son activité, son industrie, et la valeur éclairée de M. de Bussy, officier distingué, sauvèrent la ville pour cette fois. M. de Bussy servait alors dans la troupe de la compagnie qu’on nommait le bataillon de l’Inde. Il était venu de Paris chercher sur le rivage de Coromandel la gloire et la fortune. Il y trouva l’une et l’autre. La cour de France récompensa Dupleix en le décorant du grand cordon rouge et du titre de marquis.

La faction française et l’anglaise, l’une ayant conservé la capitale de son commerce, l’autre ayant perdu la sienne, s’attachaient plus que jamais à ces nababs, à ces soubas dont nous avons parlé. Nous avons dit que l’empire était devenu une anarchie. Ces princes, étant toujours en guerre les uns contre les autres, se partageaient entre les Français et les Anglais : ce fut une suite de guerres civiles dans la presqu’île.

Nous n’entrerons point ici dans les détails de leurs entreprises ; assez d’autres ont écrit les querelles, les perfidies des Nazerzingue, des Mouzaferzingue, leurs intrigues, leurs combats, leurs assas-

  1. Le 9 septembre 1753 ; voyez tome XV, page 331.