Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/16

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des Trois Siècles[1] envoyèrent ce manuscrit à M. de V……, espérant qu’il le dénoncerait au ministre qui veille sur la littérature, et qu’il obtiendrait qu’on fît de ce confesseur un martyr ; mais M. de V…… n’était pas homme à descendre à une telle vengeance, et celui qui avait tiré l’abbé Desfontaines de Bicêtre ne pouvait s’avilir jusqu’à persécuter le petit abbé commentateur.

Vous connaissez, monsieur, la fameuse réponse de Desfontaines à M. le comte d’Argenson : « Monseigneur, il faut que je vive[2]. » Il faut que l’abbé Sabotier vive aussi ; mais je conseillerais à tous les malheureux qui croient vivre de brochures, soit contre les beaux-arts, soit contre le gouvernement, de lire avec attention ces vers du Pauvre Diable[3] :

Prête l’oreille à mes avis fidèles.
Jadis l’Égypte eut moins de sauterelles
Que l’on ne voit aujourd’hui dans Paris
De malotrus, soi-disant beaux esprits,
Qui, dissertant sur les pièces nouvelles,
En font encor de plus sifflables qu’elles ;
Tous l’un de l’autre ennemis obstinés,
Mordus, mordants, chansonneurs, chansonnés,
Nourris de vent au temple de Mémoire,
Peuple crotté qui dispense la gloire.
J’estime plus ces honnêtes enfants
Qui de Savoie arrivent tous les ans,
Et dont la main légèrement essuie
Ces longs canaux engorgés par la suie ;
J’estime plus celle qui, dans un coin.
Tricote en paix les bas dont j’ai besoin ;
Le cordonnier qui vient de ma chaussure
Prendre à genoux la forme et la mesure,
Que le métier de tes obscurs Frérons, etc.

  1. Les Trois Siècles de notre littérature, ou Tableau de l’esprit de nos écrivains, par ordre alphabétique, 1772 ; trois volumes in-8o. La sixième édition est de 1801. quatre volumes in-12.
  2. D’Argenson répliqua : Je n’en vois pas la nécessité.
  3. Tome X.