Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/18

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vivant ceux qui pensent comme ces hommes abominables, soit en portant des fagots à leur bûcher comme le roi d’Espagne saint Ferdinand, soit en écrivant contre eux des libelles comme monsieur le professeur. Des philosophes prirent la peine de se moquer des libelles et de Cogé, qui, se trouvant, quelques années après, recteur de l’Université, imagina, pour se venger, de faire proposer pour sujet du prix la question suivante :

Non magis Deo quam regibus infensa est ista quæ vocatur hodie philosophia.

Il voulait dire que la philosophie n’est pas moins ennemie des rois que de Dieu ; et il disait, au contraire, qu’elle n’est pas plus ennemie de Dieu que des rois[1].

C’était précisément la même aventure que celle qui arriva jadis au prophète Balaam, lorsqu’il dit la vérité malgré lui.

On rit beaucoup, même dans l’Université, du programme de Cogé. De tous les discours composés alors, celui de Me Belleguier[2] est le seul dont on n’ait jamais parlé, quoiqu’il fût écrit en français, et que l’auteur eût étudié chez les jésuites.

L’archevêque de Paris Beaumont, s’étant fait expliquer le latin de Cogé par son secrétaire, qui ne manqua pas de traduire magis par moins, promit au savant recteur la place de grand inquisiteur pour la foi, qu’il avait résolu

  1. M. A. Pierron, dans le volume intitulé Voltaire et ses Maîtres, a démontre, par des exemples tirés des auteurs de la meilleure latinité, que la phrase de Cogé était parfaitement correcte, et signifiait bien ce qu’il voulait dire.

    Conficior enim mœrore, mea Terentia, nec me meæa miseriæ magis excruciant quam tuæ vestræque. (Cicéron.)

    Viam, non ad gloriam magis quam ad salutem, ferentem demonstrat. (Tite-Live.)

    Nec magis expressi vultus per ahenea signa
    Quam per vatis opus mores animique virorum
    Clarorum apparent.
    (Horace.)

    On peut dire cependant que la proposition, toute correcte qu’elle était, prêtait à une équivoque dont les philosophes, attaqués, étaient en droit de profiter. En France, l’esprit aura toujours raison, même contre ceux qui savent le latin.

  2. Voltaire parle du Discours de Me Belleguier dans sa lettre à Condorcet, du 4 janvier 1773. L’édition que je crois l’originale est in-8o, de 19 pages, et doit avoir précédé l’impression qui fait partie du volume intitulé les Lois de Minos, etc. (voyez tome VII, page 166), et qui fut envoyé à La Harpe le 29 mars. Je pense même que c’est la même composition qui a servi pour le volume et pour le tirage à part de l’opuscule. Dans l’édition in-4o des Questions sur l’Encyclopédie, en 1774, le Discours de Me Belleguier faisait, ainsi que je l’ai dit (tome XX, page 209), la 4e section de l’article PHILOSOPHIE. (B.)

    — Ce fut d’Alembert (lettre du 26 décembre 1772) qui s’aperçut un des premiers de la bévue du recteur, et qui s’empressa de la signaler à Voltaire en le priant de répondre à cette belle question, non en latin, mais en bon français, pour être lu de tout le monde. Voltaire s’affubla de la robe d’un prétendu Belleguier, avocat, et fit imprimer à Montpellier (c’est-à-dire Genève), puis expédier à Paris, le discours suivant où il prouve, selon la lettre du programme, que ce sont les théologiens, et non les philosophes, qui furent les assassins des rois. (G. A.)