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FRAGMENTS HISTORIQUES

droit des armes, et que l’usurpation commençait à se tourner en droit sacré, il ne possédait point encore la capitale Delhi. Agra était fort peu de chose : de l’argent, il n’en avait pas ; mais il avait des troupes du nord aguerries, de l’esprit et du courage, avec quoi on prend aisément l’argent des Indiens. Il nourrit la guerre par la guerre, prit Delhi, et s’y affermit. Il sut vaincre les petits princes, soit indiens, soit tartares, cantonnés partout depuis l’irruption passagère de Tamerlan.

Féristha nous conte qu’Acbar, se voyant bientôt à la tête de deux mille éléphants et de cent mille chevaux, poursuivait avec des détachements de cette grande armée un kan tartare, nommé Ziman, retiré derrière le Gange, du côté de Lahor, dans un endroit nommé Manezpour. On cherchait des bateaux, le temps se perdait, il était nuit ; Acbar, ayant devancé son armée, apprend que les ennemis, se croyant en sûreté à l’autre bord du fleuve, ont célébré une fête à la manière de tous les soldats, et qu’ils sont en débauche. Il passe le grand fleuve du Gange à la nage, sur son éléphant, suivi seulement de cent chevaux, aborde, trouve les ennemis endormis et dispersés : ils ne savent quel nombre ils ont à combattre, ils fuient ; les troupes d’Acbar, ayant passé le fleuve, voient Acbar et cent hommes vainqueurs d’une armée entière. Ceux qui aiment à comparer peuvent mettre en parallèle le passage du Granique par Alexandre, César passant à la nage un bras de la mer d’Alexandrie, Louis XIV dirigeant le passage du Rhin, Guillaume III combattant en personne au milieu de la Boyne, et Acbar sur son éléphant.

Acbar fut le premier qui s’empara de Surate et du royaume de Guzarate, fondé par des marchands arabes devenus conquérants à peu près comme des marchands anglais sont devenus les maîtres du Bengale.

Ce même Bengale fut bientôt soumis par Acbar ; il envahit une partie du Décan : toujours à cheval ou sur un éléphant ; toujours combattant du fond de Cachemire jusqu’au Visapour, et mêlant toujours les plaisirs à ses travaux, ainsi que tant de princes.

Notre jésuite Catrou, dans son Histoire générale du Mogol, composée sur les mémoires des jésuites de Goa, assure que cet empereur mahométan fut presque converti à la religion chrétienne par le P. Aquaviva ; voici ses paroles :

« Jésus-Christ (lui disaient nos missionnaires) vous paraît avoir suffisamment prouvé sa mission par des miracles attestés dans l’Alcoran. C’est un prophète autorisé ; il faut donc le croire