Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/27

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dit, elle répète : Adorez Dieu, servez les rois, aimez les hommes. Les hommes la calomnient ; elle se console en disant : Ils me rendront justice un jour. Elle se console même souvent sans espérance de justice.

Ainsi la partie de l’Université de Paris consacrée aux beaux-arts, à l’éloquence, et à la vérité, ne pouvait choisir un sujet plus digne d’elle que ces belles paroles : Non magis Deo quam regibus infensa est ista quæ vocatur hodie philosophia.

Ô toi, qui seras toujours compté parmi les rois les plus illustres ; toi qui vis naître le long siècle des héros et des beaux-arts, et qui les conduisis tous dans les divers sentiers de la gloire ; toi que la nature avait fait pour régner, Louis XIV, petit-fils de Henri IV, plût au ciel que ta belle âme eût été assez éclairée par la philosophie pour ne point détruire l’ouvrage de ton grand-père[1] ! Tu n’aurais point vu la huitième partie de ton peuple abandonner ton royaume, porter chez tes ennemis les manufactures, les arts, et l’industrie de la France ; tu n’aurais point vu des Français combattre sous les étendards de Guillaume III contre des Français, et leur disputer longtemps la victoire ; tu n’aurais point vu un prince catholique armer contre toi deux régiments de Français protestants ; tu aurais sagement prévenu le fanatisme barbare des Cévennes, et le châtiment, non moins barbare que le crime. Tu le pouvais : tout t’était soumis ; les deux religions t’aimaient, te révéraient également ; tu avais devant les yeux l’exemple de tant de nations chez qui les cultes différents n’altèrent point la paix qui doit régner parmi les hommes, unis par la nature. Rien ne t’était plus aisé que de soutenir et de contenir tous tes sujets. Jaloux du nom de Grand, tu ne connus pas ta grandeur. Il eût mieux valu avoir six régiments de plus de Français protestants que de ménager encore Odescalchi, Innocent XI, qui prit si hautement contre toi le parti du prince d’Orange, huguenot. Il eût mieux valu te priver des jésuites, qui ne travaillaient qu’à établir la grâce suffisante, le congruisme et les lettres de cachet, que te priver de plus de quinze cent mille bras qui enrichissaient ton beau royaume, et qui combattaient pour sa défense.

Ah ! Louis XIV, Louis XIV, que n’étais-tu philosophe ! Ton siècle a été grand ; mais tous les siècles te reprocheront tant de citoyens expatriés, et Arnauld sans sépulture.

  1. L’édit de Nantes donné par Henri IV, et dont la révocation fut faite par Louis XIV ; voyez tome XV, page 27.