Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/302

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la passion dominante des hommes, ce fard des déclamations, si imposant autrefois, a perdu son éclat. Nous sommes heureusement réduits, surtout dans ces assemblées secrètes, à suivre la méthode inventée par l’ingénieux Fontenelle, et perfectionnée par le marquis de Condorcet : méthode qui consiste à faire plutôt le précis de la vie d’un homme que son éloge ; à ne le louer que par les faits ; à raconter sans emphase les services qu’il a rendus ; à laisser voir sans malignité les faiblesses inséparables de la nature humaine ; à ne chercher enfin pour toute éloquence que des vérités utiles. Les hommes ne se dégoûteront jamais de ce genre, parce qu’il ressemble à celui de l’histoire.

C’était l’usage de ces anciens peuples si renommés, qui jugeaient les rois après leur mort, et qui par là enseignèrent la justice à la terre. De tels discours funèbres peuvent avoir sur l’histoire même un grand avantage, celui de ne recueillir aucune de ces fables secrètes que la méchanceté ou la seule envie de parler débite sur un prince de son vivant, que l’erreur populaire accrédite, et qu’au bout de quelques années les historiens adoptent en se trompant eux-mêmes, et en trompant la postérité.

Si l’on osait être sage, des discours de ce genre seraient d’une utilité bien plus grande encore : car, également éloignés de la flatterie et de la satire, ils seraient la leçon de ceux dont un jour on doit faire l’oraison funèbre. Ce qu’un homme éclairé et juste prononcerait sur un roi, devant son successeur et devant la nation, ferait une impression cent fois plus forte et plus durable que tous ces discours d’ostentation qui ne sont plus regardés que comme une partie des cérémonies qui passent en un jour.

Nous n’avons rien à dire du premier âge de Louis XV ; presque toutes les enfances, comme toutes les décrépitudes, se ressemblent : les premières donnent toujours quelque espérance que les secondes ôtent entièrement. Son caractère était doux et facile, et l’on a remarqué que dans toute sa vie il ne montra aucun emportement. Ce qu’il apprit le mieux dans sa première jeunesse fut la géographie, science la plus utile à un roi, soit en guerre, soit en paix. Il fit même imprimer au Louvre un petit livre De la Géographie par le cours des fleuves, qu’il composa en partie sur les leçons de M. Delisle, et dont on tira cinquante exemplaires[1]. C’est cette étude qui le détermina depuis à faire lever des cartes topographiques de toute la France, ouvrage immense où l’on n’a trouvé presque rien d’omis, ni d’inexact.

  1. Voyez les notes, tome XIV, page 62 ; et XX, 382.