Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/341

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Il est bien sûr que nous n’en saurons jamais rien si nous n’essayons pas. Osons donc essayer.

II. — L’âme est-elle une faculté ?

Il faut commencer par avouer que toutes les qualités que le grand Être nous a données, à nous et aux autres animaux, sont des qualités occultes.

Comment tout animal fait-il obéir ses membres à ses volontés ?

Comment les idées des choses se forment-elles dans l’animal par le moyen de ses sens ?

En quoi consiste la mémoire ?

D’où viennent ces sympathies et ces antipathies prodigieuses d’animal à animal ? D’où viennent ces propriétés si différentes dans chaque espèce ?

Quel charme invincible attache une hirondelle, une fauvette à ses petits, la force à verser dans leur gosier la pâture dont elle se nourrit elle-même ? Et quelle indifférence, quel oubli succèdent tout d’un coup à un amour si tendre, aussitôt que ses enfants n’ont plus besoin d’elle ? Tout cela est qualité occulte pour nous. Toute génération est, du moins jusqu’à présent, un mystère très-occulte. Nous ne prétendons pas donner ce mot pour une raison ; nous n’expliquons rien, nous disons ce que sont les choses.

Ayant avoué que nous ne savons rien de la manière dont le grand Être nous gouverne, et que nous ne pouvons voir le fil avec lequel il dirige tout ce qui se fait dans nous et hors de nous, que faut-il faire dans l’excès de notre ignorance et de notre curiosité ? Nous en tenir à l’expérience bien avérée de tous les hommes et de tous les temps. Cette expérience est que nous marchons par nos pieds, et que nous sentons par tout notre corps ; que nous voyons par nos yeux, que nous entendons par nos oreilles, et que nous pensons par notre tête. Ainsi l’a voulu l’éternel fabricateur de toutes choses.

Qui le premier imagina dans nous un autre être, lequel s’y tient caché, et fait toutes nos opérations sans que nous puissions jamais nous en apercevoir ? Qui fut assez hardi, assez supérieur

    les lois de Kepler et de Newton étaient alors connues ; mais ce sont des chimères de demi-savants qui ne sont pas des demi-jaloux et des demi-impertinents. Ces gens-là sont capables de trouver l’invention de l’imprimerie et de la poudre à canon dans Pline et dans Athénée. (Note de Voltaire.)