Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/345

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Lorsque Ulysse a tué tous les amants de Pénélope, Mercure conduit chez Pluton leurs âmes, qui ressemblent à des chauves-souris.

Telle était la philosophie d’Homère, parce que c’était celle des Grecs, et que tous les poëtes sont les échos de leur siècle.

Bientôt après, ceux qui se disaient penseurs, enseigneurs, crurent que l’âme humaine était non-seulement un souffle d’air, une figure composée d’air qui servait au mouvement, et qu’ils appelaient pneuma, le souffle ; mais qu’elle formait aussi les appétits, les désirs, les passions du corps, et cela s’appela psyché ; qu’enfin elle disputait et poussait des arguments, et ils l’appelèrent nous, intelligence. Ainsi l’âme, toujours corporelle, eut trois parties : le souffle, qui fait la vie, était l’âme végétative ; psyché était l’âme sensitive, et nous était l’âme intellectuelle.

Voilà comme on passa par degrés de la profonde ignorance où les hommes croupirent si longtemps à cet excès de vaine subtilité dans laquelle ils se perdirent.

Personne ne s’avisa de recourir à Dieu, et de lui dire : Toi seul nous as fait naître, toi seul nous fais vivre un peu de temps ; toi seul nous donnes la faculté d’apercevoir, de penser, de nous ressouvenir, de combiner des idées ; toi seul fais tout, les hommes sont dans tes mains.

Tandis que tous les philosophes raisonnaient sur l’âme, les épicuriens vinrent, et dirent : L’âme n’est qu’une matière imperceptible qui naît avec nous, qui s’accroît avec nous, et meurt avec nous.

Les honnêtes gens de l’empire romain se partagèrent entre deux sectes grecques, celle des épicuriens, qui ne regardaient l’âme que comme une matière légère et périssable, et celle des stoïciens, qui la regardaient comme une portion de la Divinité, se replongeant après la mort dans le grand tout dont elle était émanée.

La secte d’Épicure prévalut chez les Romains au point que Cicéron, dans sa harangue pour Cluentius[1], prononça devant le peuple romain ces éloquentes et terribles paroles :

« Quid tandem illi mali mors attulit ? nisi forte ineptiis ac fabulis ducimur, ut existimemus illum apud inferos impiorum supplicia perferre… Quæ si falsa sunt, id quod omnes intelligunt, quid ei tandem aliud mors eripuit præter sensum doloris ? — Quel mal lui a fait la mort ? à moins que nous ne soyons assez

  1. Oratio pro A. Cluentio Avito, lxi.