Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/344

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seul livre où il soit parlé de la chute des demi-dieux ; livre cité, dit-on, dans un livre nouveau écrit chez les Phéniciens.

Dans la suite des siècles Dieu pardonne à ces Debta ; il les change en vaches et en hommes dans notre globe.

C’est de là, disaient les brachmanes, que les vaches sont sacrées dans l’Inde.

Ainsi nous voyons que toute l’ancienne théologie, différemment déguisée en Asie et en Europe, nous vient incontestablement des brachmanes. Nous pourrions le prouver par beaucoup d’autres exemples ; mais nous ne devons point nous écarter de notre sujet. C’est bien assez d’avoir pénétré jusqu’à la source de cette idée, adoptée par toutes les nations civilisées, que tous les animaux ont dans leur corps une substance impalpable, inconnue, distincte de leur corps, qui dirige tous leurs appétits et toutes leurs actions. Ce système, joint à celui des Debta, est visiblement le nôtre. Notre religion était cachée au fond de l’Inde, et nous ne l’apprenons que d’aujourd’hui. Qui l’eût cru, que la chute de l’homme et la chute des demi-dieux fût une allégorie indienne ?

IV. — Âme corporelle.

L’auteur le plus ancien que nous connaissions dans notre Europe est Homère ; il paraît que de son temps la croyance d’une âme immortelle était généralement répandue. Cette âme était une petite figure aérienne, légère, impalpable, parfaitement ressemblante au corps qu’elle faisait mouvoir. Elle sortait de ce corps au moment où il expirait. On l’appelait alors des noms qui répondent à ceux d’ombres, de mânes, d’esprit ou vent, de fantôme, de spectre, et même à celui d’âme sensitive, psyché. C’est pourquoi l’âme de Tirésias, qui apparaît à Ulysse sur le rivage des Cimmériens, boit du sang des victimes qu’Ulysse vient d’immoler[1]. L’âme d’Agamemnon boit du même sang. La mère d’Ulysse, après lui avoir dit comment Pénélope se comporte dans Ithaque, se dérobe à ses embrassements. Ulysse lui demande pourquoi elle ne veut pas l’embrasser, et sa mère lui répond que son âme n’est qu’un corps délié et subtil qui n’a point de consistance, et qui s’envole comme un songe.

Ces âmes, ces ombres étaient si réellement corporelles qu’Ulysse, étant arrivé dans le royaume de Pluton, y vit tous les tourments de ces célèbres criminels, Tantale, Titye, Sisyphe.

  1. Odyssée, xxiv.(Nofe de Voltaire.)