Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/386

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die[1], mon nom est d’Étallonde de Morival. Plusieurs de mes parents sont morts au service de l’État. J’ai un frère capitaine au régiment de Champagne. Je me suis destiné au service dès mon enfance.

J’étais dans la Gueldre en 1765, où j’apprenais la langue allemande et un peu de mathématique pratique, deux choses nécessaires à un officier, lorsque le bruit que j’étais impliqué dans un procès criminel au présidial d’Abbeville parvint jusqu’à moi.

On me manda des particularités si atroces et si inouïes sur cette affaire, à laquelle je n’aurais jamais dû m’attendre, que je conçus, tout jeune que j’étais, le dessein de ne jamais rentrer dans une ville livrée à des cabales et à des manœuvres qui effarouchaient mon caractère. Je me sentais né avec assez de courage et de désintéressement pour porter les armes en quelque qualité que ce pût être. Je savais déjà très-bien l’allemand : frappé du mérite militaire des troupes prussiennes, et de la gloire étonnante du souverain qui les a formées, j’entrai cadet dans un de ses régiments.

Ma franchise ne me permit pas de dissimuler que j’étais catholique, et que jamais je ne changerais de religion : cette déclaration ne me nuisit point, et je produis encore des attestations de mes commandants, qui attestent que j’ai toujours rempli les fonctions de catholique et les devoirs de soldat. Je trouvai chez les Prussiens des vainqueurs, et point d’intolérants.

Je crus inutile de faire connaître ma naissance et ma famille : je servis avec la régularité la plus ponctuelle.

Le roi de Prusse, qui entre dans tous les détails de ses régiments, sut qu’il y avait un jeune Français qui passait pour sage, qui ne connaissait les débauches d’aucune espèce, qui n’avait jamais été repris d’aucun de ses supérieurs, et dont l’unique occupation, après ses exercices, était d’étudier l’art du génie : il daigna me faire officier, sans même s’informer qui j’étais ; et enfin, ayant vu par hasard quelques-uns de mes plans de fortifications, de marches, de campements, et de batailles, il m’a honoré du titre de son aide de camp et de son ingénieur. Je lui en dois une éternelle reconnaissance : mon devoir est de vivre et de mourir à son service. Votre Majesté a trop de grandeur d’âme pour ne pas approuver de tels sentiments.

Que votre justice et celle de votre conseil daignent mainte-

  1. Fidelissima Picardorum natio. (Note de Voltaire.)