Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/387

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nant jeter un coup d’œil sur l’attentat contre les lois et sur la barbarie dont je porte ma plainte.

Madame l’abbesse de Villancourt, monastère d’Abbeville, fille respectable d’un garde des sceaux estimé de toute la France presque autant que celui qui vous sert aujourd’hui si bien dans cette place[1], avait pour implacable ennemi un conseiller au présidial, nommé Duval de Saucourt. Cette inimitié publique, encore plus commune dans les petites villes que dans les grandes, n’était que trop connue dans Abbeville. Madame l’abbesse avait été forcée de priver Saucourt, par avis de parents, de la curatelle d’une jeune personne assez riche, élevée dans son couvent.

Saucourt venait encore de perdre deux procès contre des familles d’Abbeville. On savait qu’il avait juré de s’en venger.

On connaît jusqu’à quel excès affreux il a porté cette vengeance. L’Europe entière en a eu horreur, et cette horreur augmente encore tous les jours, loin de s’affaiblir par le temps.

Il est public que Duval de Saucourt se conduisit précisément dans Abbeville[2] comme le capitoul David avait agi contre les innocents Calas dans Toulouse. Votre Majesté a sans doute entendu parler de cet assassinat juridique des Calas[3], que votre conseil a condamné avec tant de justice et de force. C’est contre une pareille barbarie que j’atteste votre équité.

La généreuse Mme  Feydeau de Brou, abbesse de Villancourt, élevait auprès d’elle un jeune homme, son cousin germain, petit

  1. Armand-Thomas Hue de Miromesnil.
  2. Je dois remarquer ici( et c’est un devoir indispensable) que dans l’affreux procès suscité uniquement par Duval de Saucourt, M. Cassen, avocat au conseil de Sa Majesté très-chrétienne, fut consulté ; il en écrivit au marquis de Beccaria, le premier jurisconsulte de l’empire. J’ai vu sa lettre imprimée. On s’est trompé dans les noms : on a mis Belleval pour Duval. On s’est trompé encore sur quelques circonstances indifférentes au fond du procès. Il est nécessaire de relever cette erreur, et de rendre à M. de Belleval, l’un des plus dignes magistrats d’Abbeville, la justice que tout le pays lui rend. (Note de Voltaire"".)

    — Ce n’est point par négligence qu’au lieu de corriger les noms nous avons laissé cette note et la lettre telles qu’elles sont. M. de Voltaire a suivi des mémoires contradictoires entre eux, quoique envoyés également d’Abbeville ; mais ces incertitudes sur l’instigateur secret de cet assassinat sont peu importantes ; les vrais coupables sont les juges, et ils sont connus. Quant à l’innocence des victimes qu’ils ont immolées à une lâche politique ou à la superstition, elle est prouvée par l’accusation même : où les droits naturels des hommes n’ont point été violés, il ne peut y avoir de crimes. (K.)

    — J’ai, d’après l’édition originale, rétabli la dernière phrase de la note de Voltaire. Malgré cette note et malgré une autre Rétractation, il paraît constant que Belleval est l’auteur de l’affreuse affaire d’Abbeville (Voyez tome XX, page 622, et, dans la Correspondance, la lettre à Florian, du 24 février 1774). (B.)

  3. Voyez tome XXIV, pages 365 et 402.