Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/40

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et le trouble qu’ils inspirent ne tiraient cette vérité du fond d’une âme coupable.

Du Jonquay et sa mère disent, longtemps après, qu’ils n’ont tout avoué, tout signé, chez un commissaire, que parce qu’un commis de la police, nommé Desbrugnières, leur avait donné précédemment un coup de poing chez un procureur. C’était précisément cette raison-là même, je le répète[1], qui devait les exciter à soutenir la légitimité de leurs cent mille écus chez le commissaire. C’était là qu’ils devaient demander justice contre ce commis ; c’était là qu’ils devaient dire : Voilà l’homme qui nous a violentés, qui ne nous a parlé que de cachots, qui nous a battus pour nous dépouiller de notre bien ; nous voilà libres à présent sous les yeux d’un premier juge : nous faisons serment que les cent mille écus nous appartiennent, et que ce commis a employé la force et la barbarie pour nous en dépouiller. Nous attestons les témoins qui nous ont vus porter notre or qu’on nous ravit, Nous demandons notre bien et vengeance.

Au lieu de prendre ce parti, que la nature dicterait aux hommes les plus faibles et les moins instruits, ils se taisent, ils ne citent aucun témoin en leur faveur : donc ils n’en avaient point trouvé encore. Ils ne se défendent pas, ils conviennent de leur délit, ils signent leur condamnation. Avant même de signer ils avouent tout, non pas d’abord au commis dont ils prétendent avoir été durement traités, mais à un clerc d’un inspecteur de police, nommé Colin, et au clerc du commissaire ; ils confessent qu’ils ont trompé M. de Morangiés. La femme Romain, mère de Du Jonquay, demande pardon à M. de Morangiés, et le conjure de ne la pas perdre. Ils font plus : le lendemain, étant en prison, ils écrivent à leur conseil pour redemander les billets qu’ils ont extorqués, et pour les remettre entre les mains de la police. Ils confirment l’aveu de leur délit. La grand’mère Véron vient dans la prison, et elle semble faire le même aveu tacitement à Desbrugnières, en recommandant ses petits-enfants à ses bons offices. Du Jonquay et sa mère renouvellent encore leur déclaration de la veille. Voyez combien d’aveux ! au sieur Colin, à un clerc du commissaire, à Desbrugnières, au commissaire, à M. de Morangiés lui-même, dont ils ont imploré la miséricorde. N’est-ce pas la vérité qui a parlé ? Et cette vérité serait anéantie, sous prétexte qu’un homme réputé coupable a été menacé et saisi par ses boutons chez un procureur !

  1. Voyez tome XXVII. pages 508 et 581.