Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/499

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pelet : en vérité il y a dans les environs de Romorantin, et dans d’autres villes, des gens du peuple qui se parent de reliques aussi singulières. Je ne vois pas que ce qui sort du derrière d’un homme qu’on respecte et qu’on aime, quand cela est bien sec, bien musqué, bien préparé, bien enchâssé dans de l’or ou de l’ivoire, soit plus dégoûtant que tel vieux haillon qui n’a jamais appartenu à un homme de mérite, ou tel vieux os pourri, ou tel nombril, ou tel prépuce, qu’on expose encore dans plus d’un de nos villages à l’adoration des bonnes femmes.

Mais que dans tout le Thibet on pense qu’il existe un homme immortel, cela peut faire quelque peine à un philosophe. Peut-être ce dogme est-il la suite de cette recherche sérieuse que des rois de la Chine firent autrefois du breuvage d’immortalité. Vous remarquez très-bien dans votre livre que plus d’un roi mourut subitement de ce breuvage qui faisait vivre éternellement.

Il y a, ce me semble, dans Oléarius[1], un très-bon conte sur Alexandre, qui chercha le breuvage d’immortalité en passant par le Thibet, lorsqu’il allait conquérir l’Inde. C’est dommage que ce conte n’ait pas eu place dans les Mille et une Nuits ; mais il était trop philosophique pour ma sœur Scheherazade[2]. Voici donc ce qu’Oléarius lut en Perse, dans une histoire d’Alexandre qui n’est pas écrite par Quinte-Curce[3].

Alexandre, après la mort de Darah ou Darius, ayant vaincu les Tartares Usbecks, et se trouvant de loisir, voulut boire de l’eau d’immortalité. Il fut conduit par deux frères qui en avaient bu largement, et qui vivent encore comme Enoch et Élie. Cette fontaine est dans une montagne du Caucase, au fond d’une grotte ténébreuse. Les deux frères firent monter Alexandre sur une jument dont ils attachèrent le poulain à l’entrée de la caverne, afin que la mère, qui portait le roi au milieu de ces profondes ténèbres, pût revenir d’elle-même à son petit après qu’on aurait bu.

Quand on fut arrivé à tâtons au milieu de la grotte, on vit tout d’un coup une grande clarté ; une porte d’acier brillant s’ouvre ; un ange en sort en sonnant de la trompette. « Qui es-tu ? lui dit le héros. — Je suis Raphaël. Et toi ? — Moi, je suis Alexandre. — Que cherches-tu ? — L’immortalité. — Tiens, lui dit l’ange ;

  1. Ce conte d’Oléarius est rappelé par Voltaire dans sa pièce À M. du M***, sur plusieurs anecdotes.
  2. C’est ainsi qu’écrit M. {{sc[Caussin de Perceval, continuateur de la traduction des Mille et une Nuits, par Galland, Voltaire a écrit Shezarade. (B.)
  3. Voyages d’Oléarius en Moscovie, en Perse, pages 109 et 170. (Note de Voltaire.)