Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/553

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nous de toute éternité dans le sein de l’Être des êtres ; si elle existe éternellement après nous ; si c’est par sa propre nature, ou par une volonté particulière de son créateur ; si elle est une substance ou une faculté ; s’il y a des différences spécifiques entre les âmes, ou si elles se ressemblent toutes ; si elles tiennent une place dans l’espace ; si elles arrivent chez nous pourvues de pensées, ou si elles ne pensent qu’à mesure, etc., etc., etc.

Mon ami et moi, nous commençons par attester le Dieu vivant, car ce grand objet est digne d’une telle attestation ; nous le prenons, dis-je, à témoin que nous croyons ce que nous enseigne notre religion chrétienne. Nous vous le disons à vous, soit que vous soyez Juifs pharisiens ou Juifs saducéens, Juifs allemands ou Juifs portugais ; à vous, monsieur Guenée, leur secrétaire chrétien par hasard, soit que vous soyez thomiste, ou janséniste, ou moliniste, ou frère morave servant Dieu auprès d’Utrecht. Si vous me demandez ce que c’est précisément qu’une âme, nous vous répondons ce que mon ami a dit tant de fois : nous n’en savons rien[1].

Il lève au ciel les yeux, il s’incline, il s’écrie :
Demandez-le à ce dieu qui nous donna la vie[2].

Mon ami a su par cœur tout ce que dit saint Thomas d’Aquin dans sa Somme. Cet ange de l’école distingue l’âme en trois parties, d’après les péripatéticiens : l’âme sensitive, l’âme des sens, psyché ψυχὴ, dont Éros, fils d’Aphrodite, fut amoureux chez les Grecs ; l’âme végétative, pneuma (πνεῦμα), souffle qui donne le mouvement à la machine ; l’âme intelligente, noûs (νόος), entendement ; et chacune de ces parties est encore divisée en trois autres. Ainsi, péripatétiquement parlant, cela composerait neuf âmes à bien compter.

Longtemps avant lui, saint Irénée, dans son livre V, chap. vii, dit que « l’âme n’est incorporelle que par comparaison avec le corps mortel, et qu’elle conserve la figure de l’homme, après la mort, afin qu’on la reconnaisse ».

Tertullien dit dans son discours De Anima, chap. vii : « La corporalité de l’âme éclate dans l’Évangile : car si l’âme n’avait pas un corps, l’âme n’aurait pas l’image du corps. »

Tatien, dans son discours contre les Grecs, dit : « L’âme de l’homme est composée de plusieurs parties, »

  1. Tome XVII, pages 130-169 ; XX, 132 ; XXV, 81 ; XXVII, 327 et suiv.
  2. Vers de Voltaire dans le quatrième des Discours sur l’homme ; voyez tome IX.