Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/86

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M. Vermeil avait dit, dans son premier mémoire, que Du Jonquay était un jeune innocent arrivé de province pour acheter une charge dans la magistrature. Il nous le montre, dans son second factum, comme un praticien consommé, dès l’an 1767, dans le métier de la chicane. Il faut voir avec quelle vivacité ce Du Jonquay poursuit le payement d’un billet de deux mille livres que M. l’abbé Le Rat avait fait à sa grand’mère, sans qu’on sache à quelle usure ; comme après la mort de M. l’abbé Le Rat il excède M. Gatou ! Cette guerre, il faut l’avouer, dément un peu la simple innocence avec laquelle il a porté cent mille écus à un officier publiquement obéré, et les lui a confiés sans prendre la moindre sûreté. Ce contraste seul, messieurs, démontre assez l’absurdité de toute la fable qu’on a forgée.

Le même avocat ayant dit, dans son premier mémoire, d’après Du Jonquay, que le comte de Morangiés avait écarté tous les domestiques de la maison le jour des treize voyages, avoue, dans le second mémoire, qu’ils y étaient tous ce jour-là même. Voilà déjà une contradiction bien formelle qui anéantit toute la fable de la cabale. Tous ces domestiques, témoins nécessaires, avouent cette vérité déjà tant reconnue, que Du Jonquay n’est venu qu’une seule fois chez leur maître, le 23 septembre 1771.

M. Vermeil avoue ingénument que leurs dépositions sont concordantes ; et, après avoir dit qu’elles sont concordantes, il essaye de les trouver contradictoires.

Un voisin dit qu’il était sur le pas de la porte, les jambes croisées, et qu’il n’a vu entrer personne, quoiqu’il en soit entré plusieurs dans cette matinée. Quel rapport ce fait minutieux peut-il avoir avec les treize voyages absurdes de Du Jonquay ? Ce voisin doit-il avoir eu toujours les jambes croisées à la porte pendant huit heures ?

L’avocat croit voir des contradictions dans des domestiques qui peuvent se méprendre de quinze ou trente minutes.

M. le chevalier de Bourdeix arrive chez M. de Morangiés ce matin même. Il y passe environ deux heures ; il ne voit point paraître Du Jonquay ; il l’atteste devant les premiers juges. L’avocat veut infirmer le témoignage de ce gentilhomme, parce que la femme du suisse dit qu’il était en redingote, attendu qu’il pleuvait alors, et que M. de Bourdeix, à qui on demande quel habit il portait, répond que son justaucorps était de velours. L’avocat croit trouver une contradiction dans cette réponse, comme s’il n’était pas très-naturel de couvrir son velours d’une redingote pendant la pluie.