Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/89

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escrocs a volé cent mille écus en billets à M. de Morangiés. Tout le monde convient que la fable de leurs cent mille écus en or est ce que la fourberie et l’insolence ont jamais inventé de plus absurde et de plus punissable.

Quelques personnes, d’abord trompées dans le commencement par les séductions de la famille Véron, se réduisent aujourd’hui à dire qu’à la vérité M. de Morangiés n’a pas reçu les cent mille écus, mais qu’il en a touché probablement une partie[1]. Elles sont honteuses d’avoir cru un moment le roman des treize voyages ; mais elles substituent une autre fable à cette fable décriée. Pardonnons à cette faiblesse de leur amour-propre ; mais il eût été plus beau d’avouer son erreur sans détour.

Il ne faut pas supposer ce qu’aucun des avocats des Véron n’a jamais osé dire. Tous ont fait retentir à nos oreilles le prêt imaginaire des cent mille écus : Du Jonquay en a fait serment avant de se dédire chez un commissaire. Voilà le procès : il ne faut pas en imaginer un autre, qui, au fond, serait plus absurde encore. Car comment serait-il possible que M. de Morangiés, n’ayant reçu, par exemple, que cent mille francs, comme ces messieurs le supposent, eût été assez ennemi de soi-même pour signer des billets de trois cent vingt-sept mille livres, qui feraient plus de trois fois et un quart la valeur reçue ? Ce serait une usure de deux cent vingt-sept pour cent : usure aussi chimérique que toute la fable des Véron ; usure plus criminelle encore, s’il est possible, que la manœuvre avérée dont ils sont coupables.

Que pour justifier M. de Morangiés on ne rende donc pas cette affaire plus ridicule, plus absurde, et plus incroyable qu’elle ne l’est en effet. Qu’on s’en tienne au procès ; il est assez extravagant.

Je ne connais, messieurs, dans l’histoire du monde, aucune dispute à laquelle la démence n’ait présidé, quand l’esprit de parti s’y est joint. Vous savez que la basse faction des Véron était, il y a quelque temps, un parti formidable : c’était celui du peuple, et vous connaissez le peuple. La faction des convulsionnaires de Saint-Médard ne fut jamais ni plus fanatique, ni plus aveugle, ni plus opiniâtre, ni plus imbécile.

Les mensonges imprimés des avocats de la Véron tenaient tous des Mille et une Nuits, et ont été reçus comme des vérités par M. Pigeon.

Ils peignaient la Véron, veuve d’abord d’un commis des

  1. C’était au fond l’opinion de Voltaire. (G. A.)