Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/90

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fermes, et ensuite d’un petit agioteur de la rue Quincampoix, comme la veuve d’un riche banquier.

Ils lui attribuaient une fortune immense, et elle couchait à terre, elle et toute sa famille, dans un galetas.

Ils présentaient M. Du Jonquay, son petit-fils, comme un docteur ès lois qui allait acheter trente mille francs une charge de conseiller au parlement, de juge suprême des pairs de France, et ce conseiller n’avait pu seulement demeurer garde dans une brigade d’employés des fermes, et ce conseiller a le style et l’orthographe d’un laquais, et les avocats répondaient qu’un magistrat n’est pas puriste.

Ils affirmaient dans tous leurs mémoires que Mme Véron, sa grand’mère, et Mme Romain, sa mère, étaient des personnes de considération, très-opulentes, très-honnêtes, ne prêtant jamais sur gages, mais empruntant quelquefois sur gages comme de grandes dames ; et le nommé Montreuil, laquais de M. de Florian, affirme, par serment, qu’ayant mangé plusieurs fois avec le magistrat Du Jonquay, la veuve Durand, courtière, lui a proposé de lui faire prêter par Mme Véron vingt-quatre francs, douze francs, pourvu qu’il donnât quelques boucles de souliers, quelques chemises en nantissement ; et M. Pigeon n’a point interrogé ceux à qui la Véron a prêté sur gages des soixante, des quarante, et jusqu’à des neuf francs ! petites sommes dont le trafic la faisait subsister par l’entremise de ses courtières, et qui sont consignées dans le registre des usures dont le dépôt est à la police.

Les avocats parlaient toujours des cent mille écus en or de la veuve, et ils ne disaient rien de sa seule véritable fortune, qui consistait principalement en une rente de six cents livres vendue pour prêter sur gages. C’était là son meilleur effet.

Ces avocats, qui ne pouvaient alléguer que les raisons suggérées par leurs commettants, et qui étaient malgré eux les organes de l’imposture, séduits par la faction, séduisaient le peuple, et faisaient voler l’erreur de bouche en bouche.

Ils célébraient la grandeur d’âme de M. Aubourg, qui, touché de l’embarras d’une famille respectable de fripons, forcée de voler cent mille écus à M. le comte de Morangiés, et à l’opprimer, a pris en main généreusement la cause de cette famille Véron, et se sacrifie aujourd’hui pour elle. Mais il se trouve que ce M. Aubourg, ce héros généreux, est un tapissier devenu écumeur du Palais, qui a acheté ce malheureux procès pour en partager le profit : manœuvre qui n’est guère différente de celle des receleurs.