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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

davantage quand ces barbares, devenus policés et industrieux, se firent de nouveaux besoins.

On sait assez qu’à peine on eut passé les mers qui entourent le midi et l’orient de l’Afrique, on combattit vingt peuples de l’Inde dont auparavant on ignorait l’existence. Les Albuquerque et leurs successeurs ne purent parvenir à fournir du poivre et des toiles en Europe que par le carnage.

Nos peuples européans ne découvrirent l’Amérique que pour la dévaster et pour l’arroser de sang ; moyennant quoi ils eurent du cacao, de l’indigo, du sucre, dont les cannes furent transportées d’Asie par les Européans dans les climats chauds de ce nouveau monde ; ils rapportèrent quelques autres denrées, et surtout le quinquina. Mais ils y contractèrent une maladie aussi affreuse qu’elle est honteuse et universelle[1], et que cette écorce d’un arbre du Pérou ne guérissait pas.

À l’égard de l’or et de l’argent du Pérou et du Mexique, le public n’y gagna rien, puisqu’il est absolument égal de se procurer les mêmes nécessités avec cent marcs ou avec un marc. Il serait même très-avantageux au genre humain d’avoir peu de métaux qui servent de gages d’échange, parce qu’alors le commerce est bien plus facile : cette vérité est démontrée en rigueur. Les premiers possesseurs des mines sont, à la vérité, réellement plus riches d’abord que les autres, ayant plus de gages d’échange dans leurs mains ; mais les autres peuples aussitôt leur vendent leurs denrées à proportion : en très-peu de temps l’égalité s’établit, et enfin le peuple le plus industrieux devient en effet le plus riche[2].

Personne n’ignore quel vaste et malheureux empire les rois d’Espagne acquirent aux deux extrémités du monde sans sortir de leurs palais ; combien l’Espagne fit passer d’or, d’argent, de marchandises précieuses en Europe, sans en devenir plus opulente, et à quel point elle étendit sa domination en se dépeuplant.

L’histoire des grands établissements hollandais dans l’Inde

  1. Voyez tome XXI, page 352.
  2. Les mines ont une valeur réelle pour le propriétaire, comme toutes les autres productions ; mais leur valeur baisse à mesure que les métaux qu’on en tire deviennent communs, ce qui arrive toutes les fois que les mines en fournissent plus qu’on n’en consomme.

    Observons aussi que les métaux précieux qui sont si propres à servir, non de signes de valeurs, comme on l’a dit trop souvent, mais de valeurs connues, sont en même temps des denrées très-utiles. Il serait très-avantageux pour l’humanité en général que l’argent et l’or surtout fussent très-communs. (K.)

    — Condorcet combat ici l’opinion de Montesquieu, Esprit des lois, livre XXII.