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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

est connue, de même que celle des colonies anglaises qui s’étendent aujourd’hui de la Jamaïque à la baie d’Hudson, c’est-à-dire depuis le voisinage du tropique jusqu’à celui du pôle.

Les Français, qui sont venus tard au partage des deux mondes, ont perdu à la guerre de 1756 et à la paix tout ce qu’ils avaient acquis dans la terre ferme de l’Amérique septentrionale, où ils possédaient environ quinze cents lieues en longueur, et environ sept à huit cents en largeur[1]. Cet immense et misérable pays était très à charge à l’État, et sa perte a été encore plus funeste.

Presque tous ces vastes domaines, ces établissements dispendieux, toutes ces guerres entreprises pour les maintenir, ont été le fruit de la mollesse de nos villes et de l’avidité des marchands encore plus que de l’ambition des souverains.

C’est pour fournir aux tables des bourgeois de Paris, de Londres, et des autres grandes villes, plus d’épiceries qu’on n’en consommait autrefois aux tables des princes ; c’est pour charger de simples citoyennes de plus de diamants que les reines n’en portaient à leur sacre : c’est pour infecter continuellement ses narines d’une poudre dégoûtante, pour s’abreuver par fantaisie de certaines liqueurs inutiles, inconnues à nos pères, qu’il s’est fait un commerce immense, toujours désavantageux aux trois quarts de l’Europe : et c’est pour soutenir ce commerce que les puissances se sont fait des guerres dans lesquelles le premier coup de canon tiré dans nos climats met le feu à toutes les batteries en Amérique et au fond de l’Asie. On s’est toujours plaint des impôts, et souvent avec la plus juste raison ; mais nous n’avons jamais réfléchi que le plus grand et le plus rude des impôts est celui que nous imposons sur nous-mêmes par nos nouvelles délicatesses qui sont devenues des besoins, et qui sont en effet un luxe ruineux, quoiqu’on ne leur ait point donné le nom de luxe.

Il est très-vrai que depuis Vasco de Gama, qui doubla le premier la pointe de la terre des Hottentots, ce sont des marchands qui ont changé la face du monde.

Les Japonais, ayant éprouvé l’inquiétude turbulente et avide de quelques-unes de nos nations européanes, ont été assez heureux et assez puissants pour leur fermer tous les ports, et pour n’admettre chaque année qu’un seul vaisseau d’un petit peuple qu’ils traitent avec une rigueur et un mépris[2] que ce petit peuple

  1. Voyez tome XV, page 368.
  2. Il est très-vrai que, dans le commencement de la révolution de 1638, on obligea les Hollandais, comme les autres, à marcher sur le crucifix. (Note de Voltaire.) — Voyez Essai sur les Mœurs, tome XIII, page 171.