Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/278

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LE CHEVALIER.

J’en conviens.

TRIGAUDIN.

Un original à berner sur le théâtre.

LE CHEVALIER.

Il est vrai.

TRIGAUDIN.

Un mauvais cœur dans un corps ridicule.

LE CHEVALIER.

C’est ce que je pense.

TRIGAUDIN.

Un petit-maître suranné, qui n’a pas même le jargon de l’esprit ; enflé de fadaises et de vent, et dont Merlin ne voudrait pas pour valet, s’il pouvait en avoir un.

MERLIN.

Assurément, j’aimerais bien mieux son frère le chevalier.

LE CHEVALIER.

Hem !

TRIGAUDIN.

Un homme enfin dont vous ne tirerez jamais rien ; qui dépenserait cinquante mille francs en chiens et en chevaux, et qui laisserait périr son frère de misère.

LE CHEVALIER.

Cela n’est que trop vrai.

TRIGAUDIN.

Et vous vous feriez scrupule de supplanter un pareil homme ! et vous ne goûteriez pas une joie parfaite en lui enlevant légitimement les cinq cent mille francs qu’il croit déjà tenir, et qu’il mérite si peu ! et vous ne ririez pas de tout votre cœur en tenant ce soir entre vos bras la fille du baron ! et vous hésiteriez à me faire (pour l’honneur) un petit billet de vingt mille francs par corps à prendre sur les plus clairs deniers de Mlle de la Canardière ! Allez, vous êtes indigne d’être riche, si vous manquez l’occasion de le devenir.

LE CHEVALIER, portant la main sur sa poitrine.

Vous avez raison ; mais je sens là quelque chose qui me répugne. L’étrange chose que le cœur humain ! je n’avais point de scrupule de me battre tout à l’heure contre mon frère, et j’en ai de le tromper.

TRIGAUDIN.

C’est que vous étiez en colère quand vous vouliez vous battre, et que vous êtes plus brave qu’habile.