Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/308

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"298 AVEKTISSK.MKNT.

lo goût anglais, dit-il, la Mort de Cf^s,ir. Los ponsc’os on sont olovoes_, lo langage ok’gant et fort : c’est une belle étude d’après (loriKMlle et Shakespeare.

u. Mais là même ^■oltail■o a-t-il perfeetioiiné ce qu’il emprunte au poêle anglais ? A-t-il eu, dans toute la force du terme, plus d’art que Shakespeare ? Nous en doutons encore. Le dictateur César aspirant à la royauté, l’aristo- cratie romaine réduite à un assassinat, l’àme de Brutus, son sacrifice de César, rien de si grand que cette tragédie toute faite dans l’histoire. On dirait que Shakespeare en a simplement découpé les pages, en y jetant son expression éloquente et ses contrastes habituels de sublime et de grossièreté.

« Toutefois, le drame ainsi conçu, avec une liberté sans limites, fait admi- rablement comprendre les causes et l’inutilité du meurtre de César. Ces plébéiens oisifs de la première scène nous préparent à ce peuple de Rome entraîné par Antoine après avoir applaudi Brutus, et plus touché du testa- mont de César que de la liberté. Depuis le jeune esclave, réveillé de son pai- sible sommeil par les insomnies de Brutus, jusqu’au poëte Cinna, massacré dans la rue pour une ressemblance de nom, chaque incident, chaque per- sonnage est un trait de la vie humaine dans les révolutions. Le costume, le langage antique est souvent altéré par ignorance ; mais la nature toujours devinée.

« Voltaire fait autrement : il choisit dans l’histoire, il la transforme, il in- vente au delà. Ce vague soupçon que Brutus était fils de César devient le nœud même et l’intérêt dominant de son drame ; la grande lutte du sénat contre l’empire se cache dans un parricide. Voltaire affirme ce que ne croyait pas Brutus, lorsque, dans son admirable lettre contre le jeune Octave, il s’écriait :

Puissent les dieux me ravir toutes choses, plutôt que la ferme résolution de ne point accorder à l’héritier de l’homme que j’ai tué ce que je n’ai pas supporté dans cet homme, ce que je ne permettrais pas à mon père lui-même, s’il revenait au monde : le droit d’avoir, par ma padence, plus de pouvoir que les lois et que le sénat !

« Sans doute Fontenelle et M""^ Barbier avaient eu grand tort de faire en- semble une tragédie de la Mort de César, et d’y représenter Brutus et César amoureux et jaloux. Mais fallait-il tout réduire, dans un tel sujet, à des en- tretiens de conspirateurs ? L’histoire ne pouvait-elle donner quelque physio- nomie de femme pure et passionnée, qui se mêlât avec tendresse à ces ver- tus féroces, et montrât la vie intime du cœur et la paix domestique engagées dans les luttes sociales ?

« Shakespeare n’y a pas manqué. Près de la conspiration de Brutus, il a placé l’amour conjugal de Porcia. Cette scène, inspirée de Plutarque, me paraît d’une beauté sublime. Brutus s’est levé dans la nuit, tout agité de son projet. Porcia l’a suivi, le presse, l’interroge sur sa santé, sur son silence :

Non, cher Brutus, vous avez quelque chose dans l’âme ; je dois le savoir, au Dom de mes droits sur vous ; et je vous le demande à genoux, par ma beauté que