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I

AVERTISSEMENT. 30.i

l’art du (lôbit, ou le pouvoir de l’cloqucnco pour exciter les passions des hommes. Seulement je dis vrai ; je vous dis ce que vous-mûmes vous savez. Je vous montre les blessures de votre bien-aimc César ; et je les charge de parler pour moi. Mais si j’étais Hrutus, Brutus avec le cœur d’Antoine, j’enlèverais vos ànies, et, de chaque blessure de César, je ferais sortir une voix qui exciterait jusque dans les pierres de Rome le soulèvement et la révolte.

T u s. La révolte !… Brûlons la maison de Brutus ! en avant ! Courez ! Cherchez les conspirateurs !

« Cependant l’artificieux Antoine les arrôte encore pour leur réciter le tes- tament do César, las legs qu’il fait au peuple, les dons en argent qu’il assure à cha(iuo citoyen. Il a gardé l’intériH pour dernier aiguillon de la fureur ; et il laisse partir enfin, ou plutôt il lance le peuple déchaîné.

« Ce n’est donc pas un diamant brut que Voltaire a taillé, un essai barbare dont il a fait sortir un chef-d’œuvre. Il a, sans doute, ajouté quelques traits éclatants à son modèle ; mais il n’égale point, dans cette scène, la gradation habile et véhémente de Shakespeare, ni surtout ce dialogue de l’orateur et do la foule, ce concert admirable des ruses de l’art et du tu- multe des passions populaires.

« Qu’après ce beau nioiivemeiit,

Dieux ! son sang coule encore !

Antoine s’écrie :

Il demande vengeance. Il l’attend de vos mains et de votre vaillance. Entendez-vous sa voix ! éveillez-vous, Romains ! Marchez, suivez-moi tous contre ses assassins : Ce sont là les honneurs qu’à César on doit rendre. Des brandons du bûcher qui va le mettre en cendre, Embrasons les palais de ces fiers conjurés : Enfonçons dans leur sein nos bras désespérés.

« Ce sont là d’assez beaux vers, mais un discours comme tant d’autres. (Combien plus originale, dans Shakespeare, cette hypocrite modération d’An- toine, qui fait éclater des cris de mort sans en proférer aucun, et qui préci- pite ce peuple qu’elle a l’air de retenir !

« Voltaire n’a donc pas corrigé Shakespeare, comme on le disait. Peut-ôtre même, dans l’impatience de son goût délicat et moqueur, n’en a-t-il pas senti toutes les beautés : du moins ne les a-t-il pas reproduites. Toutefois cette étude fortifia son génie. Il y puisa quelque chose de ces grands effets de théâtre, do cette manière éloquente et passionnée qui animent ses drames, et en font un grand poëte après Racine. »

Ainsi s’exprimait M. Villemain dans sa neuvième leçon. La Mort de César, de Voltaire, et le Julius César, de Shakespeare, sont, à les bien considérer, des monuments de deux arts diiférents, dont l’un ne doit pas