Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/339

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Ils réprouvent ce ton de la rue Saint-Denis, ce ton bourgeois auquel l’Arioste ne s’asservit jamais. Le Greco et la fiammetta de l’Arioste sont bien au-dessus du puceau de La Fontaine.

Ils n’aiment point que notre fabuliste dise, dans le Cocu battu et content, tiré de Boccace :

Tant se la mit le drôle en sa cervelle
Que dans sa peau peu ni point ne durait.

Boccace n’a point de ces expressions basses et incorrectes. Ils ne peuvent souffrir que dans la Servante justifiée, conte de la reine de Navarre, l’imitateur s’exprime ainsi :

Boccace n’est le seul qui me fournit,
Je vas parfois en une autre boutique.
11 est bien vrai que ce divin esprit
Plus que pas un me donne de pratique ;
Mais, comme il faut manger de plus d’un pain,
Je puise encore en un vieux magasin.

Ils trouvent ces expressions : aller dans une autre boutique donner de pratique, manger de plus d’un pain, plus faites pour le peuple que pour les honnêtes gens, et c’est là le grand défaut de La Fontaine.

L'Anneau d’Hans Carvel, qu’il a copié dans Rabelais, est bien supérieur dans l’Arioste. Il y a du moins une bonne raison dans l’Arioste pourquoi le diable apparaît au bonhomme (Satira prima).

Eu già un piltor (non mi ricordo il nome],
Che dipingere il diavolo solea
Con bel viso, begli occhi, e belle cliiome, etc.

La prodigieuse supériorité de l’Arioste sur son imitateur paraît dans ce petit conte, autant que dans l’invention de son Orlando, dans son imagination inépuisable, dans son sublime, et dans sa naïve élégance.

Les Cordeliers de Catalogne, Richard Minutolo, la Gageure des trois commères, n’ont jamais plu aux esprits délicats. Vous ne trouverez chez La Fontaine aucun conte qui parle au cœur, excepté le Faucon ; aucun dont on puisse tirer une morale utile ; aucun où il y ait de sa part la moindre invention. Ce ne sont presque jamais que de vieux contes réchauffés. Ce sont des femmes qui attrapent leurs maris, ou des garçons qui enjôlent des filles. Enfin on trouve