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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/340

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330 LETTRE

rarement chez lui un conte écrit ayec une élégance continue. Ses contes ont charmé la jeunesse, encore plus par la gaieté des sujets que par les grâces et la correction du style. J'ai vu beaucoup de gens d'esprit et de goût qui ne pouvaient soufTrir que La Fontaine eût gâté la Coupe enchantée de l'Arioste par des vers tels que ceux-ci :

L'argent sut donc fléchir ce cœur inexorable; Le rocher disparut, un mouton succéda,

Un mouton qui s'accommoda A tout ce qu'on voulut, mouton doux et traitable, Mouton qui, sur le point de ne rien refuser,

Donna pour arrhes un baiser.

II faudrait en effet avoir peu de goût pour approuver un rocher qui devient mouton, qui s'accommode, et qui donne des arrhes. Les Contes et les deux derniers livres des Fables sont trop pleins de ces figures si incohérentes et si fausses, qui sem- blent plutôt le fruit d'une recherche pénible que de cette négli- gence agréable qu'on a tant louée dans l'auteur.

J'ai vu aussi bien des lecteurs révoltés du style qu'on appelle marotiquc. Ils disaient qu'il fallait parler la langue de Louis XIV, et non celle de Louis XII et de François I"^"" ; que si on nous don- nait la comédie de r Avocat Patelin telle qu'on la joua sur les tré- teaux de la cour de Charles VU, personne ne pourrait la souffrir. Heureusement La Fontaine est peu tombé dans ce défaut, que d'autres S après lui, ont voulu mettre à la mode.

Mais ce qui est, à mon avis, très-digne de remarque, c'est que de toutes ces anciennes historiettes que La Fontaine a mises en vers négligés, il n'y en a pas une seule qui inspire des désirs impudiques. Les peintures y sont plus gaies que dangereuses. Elles ne font jamais cette impression voluptueuse et funeste que produisent tant de livres italiens, et surtout notre Aloïsia Tole- tana-. Cela est si vrai que l'on a mis tous ces vieux contes sur le théâtre avec l'approbation des magistrats, sans aucun danger, sans qu'aucune mère de famille ait réclamé contre cet usage, sans aucun inconvénient. On vit bien que le sévère Boileau avait raison quand il disait {Art poétique, ch. IV) :

L'amour le moins honnête, exprimé chastement, N'excite point en nous de honteux mouvement.

1. Jean-Baptiste Rousseau.

2. Traduit en français sous le titre à' Académie des dames.

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