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A L'ACADÉMIE FRANÇAISE. 3ol

son honneur. Quelques Français ont tâché d'avoir le même en- thousiasme. Ils transportent chez nous une image de la divinité de Shakespeare, comme quelques autres imitateurs ont érigé depuis peu à Paris un Vaux-hall ; et comme d'autres se sont signalés en appelant les aloyaux des rost-becf, et en se piquant d'avoir à leur tahle du rost-heef de mouton. Ils se promenaient en frac les matins, oubliant que le mot de frac vient du français, comme viennent presque tous les mots de la langue anglaise. La cour de Louis XIV avait autrefois poli celle de Charles II; aujour- d'hui Londres nous tire de la barbarie.

Enfin donc, messieurs, on nous annonce une traduction de Shakespeare, et on nous instruit qu'il fut le dieu créateur de Vart sublime du théâtre, qui reçut de ses mains Vexistence et la perfection^ .

Le traducteur ajoute que Shakespeare est vraiment inconnu en France, ou plutôt défiguré. Les choses sont donc bien changées en France de ce qu'elles étaient il y a environ cinquante années, lorsqu'un homme de lettres qui a l'honneur d'être votre con- frère- fut le premier parmi vous qui apprit la langue anglaise, le premier qui fit connaître Shakespeare, qui en traduisit libre- ment quelques morceaux en vers (ainsi qu'il faut traduire les poètes), qui fit connaître Pope, Dryden, Milton; le premier même qui osa expliquer les éléments de la philosophie du grand New- ton, et qui osa rendre justice à la sagesse profonde de Locke, le seul métaphysicien raisonnable qui eût peut-être paru jusqu'alors sur la terre.

Non-seulement il y a encore de lui quelques morceaux de vers imités de Wilton^ mais il engagea M. Dupré de Saint-Maur* à apprendre l'anglais et à traduire Milton, du moins en prose.

Quelques-uns de vous savent quel fut le prix de toutes ces peines qu'il prit d'enrichir notre littérature de la littérature anglaise; avec quel acharnement il fut persécuté pour avoir osé proposer aux Français d'augmenter leurs lumières par les lumières d'une nation qu'ils ne connaissaient guère alors que par le nom du duc de Marlborough, et dont la religion était en plusieurs points différente de la nôtre. On regarda cette entre-

1. Page 3 du Pros;rainme. {Note de Voltaire.)

2. Voltaire lui-même; voyez la xviu" de ses Lettres philosophiques, iomo. XXII, page 148.

3. Les vers imités de Milton, par Voltaire, sont au chapitre ix de son Essai sur la poésie épique (voyez tome VIIl). Il n'y a que onze vers. Voltaire en ajouta onze en reproduisant ce morceau, en 1771, dans l'article Épopée de ses QiiesHons sur l'Enciiclnpédie; voyez tome XVIII, page 589.

4. Voyez tome XVIII, page 588.

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