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SUR L'ESPRIT DES LOIS. 449

ce grand homme, qui fat, comme je l'ai déjà dit^, le sam'eur et le père de nos contrées, partit de la petite rue qu'on appelle au- jourd'hui des Mathurins, où Ton voit encore les restes- de sa maison, et courut sauver d'une invasion la Gaule et notre pays en 357, Il passa le Rhin, reprit Cologne, repoussa les entreprises des Francs et celles de l'empereur Constantius, qui voulait le perdre ; vainquit toutes les hordes allemandes et franques, signala sa clémence non moins que sa valeur, nourrit également les vainqueurs et les vaincus, fit régner l'abondance et la paix des rives du Rhin et de la Meuse jusqu'aux Pyrénées, et ne quitta les Gaules qu'après avoir fait leur bonheur, laissant chez toutes les âmes honnêtes la mémoire la plus chère et la plus justement respectée.

Après lui tout changea. Il ne faut qu'un seul homme pour sauver un empire, et un seul pour le perdre. Plus d'un empereur hâta la décadence de Rome. Les théâtres des victoires de tant de grands hommes, les monuments de tant de magnificence et de tant de bienfaits répandus sur le genre humain asservi pour son bonheur, furent inondés de barbares inconnus, comme des champs fertiles sont dévastés par des nuées de sauterelles. Il en vint jusque des frontières de la Chine. Les bords de la mer Rahique, de la mer Noire, de la mer Caspienne, vomirent des monstres qui dévorèrent les nations, et qui détruisirent tous les arts.

Je ne crois pas cependant que cette multitude de dévastateurs ait été aussi immense qu'on le dit, La peur exagère. Je vois d'ail- leurs que c'est toujours le petit nombre qui fait les révolutions, Slia-\adir, de nos jours, n'avait pas quarante mille soldats quand il mit à ses pieds le Grand Mogol, et qu'il emporta toutes ses richesses. LesTartares qui subjuguèrent la Chine, vers l'an 1260, n'étaient qu'en très-petit nombre. Tamerlan, Gengis-kan, ne commencèrent pas la conquête de la moitié de notre hémisphère avec dix mille hommes. Mahomet n'en eut pas mille à sa pre- mière bataille. César ne vint dans les Gaules qu'avec quatre légions; il n'avait que vingt-deux mille combattants à la bataille de Pharsale, et Alexandre partit avec quarante mille pour la con- quête de l'Asie.

On nous dit qu'Attila fondit des extrémités de la Sibérie au

1. Tome XXIX, pages 247 et 360. Voltaire le répète encore dans l'article XXI du Prix de la justice et de F humanité, faisant partie du présent vo- lume.

2. Les Thermes, qui maintenant ont jour sur le boulevard Saint-Michel.

30. — Mélanges. IX. 29

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