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DIALOGUES
Évhémère.

On s’en est bien moqué en effet, quand on nous a fait adorer un Jupiter mort en Crète, et un bélier de pierre caché dans les sables de la Libye. Les Grecs, qui ont de l’esprit jusqu’à la folie, se sont indignement moqués du genre humain, quand d’un mot grec qui signifiait courir ils ont fait des theoi, des dieux qui courent[1]. Leurs prétendus philosophes, qui sont, à mon avis, les raisonneurs de ce monde les moins raisonnables, ont prétendu que les coureurs tels que Mars, Mercure, Jupiter, Saturne, étaient des dieux immortels parce qu’ils marchent toujours, et qu’ils paraissent se mouvoir eux-mêmes. Ils auraient pu, par le même argument, donner de la divinité aux moulins à vent.

Callicrate.

Non, non, je ne vous parle pas des rêveries d’Athènes, ni de celles de l’Égypte. Je ne vous demande pas si une planète est dieu, si le bélier d’Ammon est dieu, si le bœuf Apis est dieu, et si Cambyse a mangé un dieu en le faisant mettre à la broche ; je vous demande très-sérieusement si il y a un dieu qui ait fait le monde. On m’a ri au nez dans Syracuse quand j’ai dit que peut-être il y en avait un.

Évhémère.

Et où logez-vous, s’il vous plaît, dans Syracuse ?

Callicrate.

Chez Hiérax l’archonte, qui est mon ami intime, et qui ne croit pas plus en Dieu qu’Épicure.

Évhémère.

N’a-t-il pas un beau palais, cet archonte ?

Callicrate.

Admirable ; c’est un corps de logis orné de trente-six colonnes corinthiennes, entre lesquelles sont des statues de la main des plus grands maîtres. Et pour les deux ailes...

Évhémère.

Faites-moi grâce des deux ailes. Il me suffit qu’un beau palais me démontre un architecte.

Callicrate.

Ah ! je vois où vous voulez en venir ; vous allez me dire que l’arrangement de l’univers, l’immensité de l’espace remplie de mondes qui tournent régulièrement autour de leurs soleils, la lumière qui jaillit en torrents de ces soleils, et qui court animer tous ces globes, enfin cette fabrique incompréhensible démontre

  1. Les planètes. (K.)