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D’ÉVHÉMÈRE.

un fabricateur souverainement intelligent, puissant, éternel ; vous allez m’étaler les belles découvertes des Platon, qui ont agrandi la sphère des êtres ; vous m’allez faire voir le grand Être qui préside à cette foule d’univers tous faits les uns pour les autres. Ces discours tant rebattus ne persuadent pas nos épicuriens. Ils vous disent froidement qu’ils ne disconviennent pas que la nature a tout fait, et que c’est là le grand Être ; qu’on la voit, qu’on la sent dans le soleil, dans les astres, dans toutes les productions de notre globe, dans nous-mêmes, et qu’il y a une grande faiblesse, et bien peu de bon sens, à vouloir attribuer à je ne sais quel être imaginaire qu’on ne peut voir, et dont il est impossible de se former la plus légère idée ; de lui attribuer, dis-je, les opérations de cette nature qui nous est si sensible, si connue par ses travaux continuels, qui est partout sous nos pieds, sur nos têtes, qui nous a fait naître, qui nous fait vivre et mourir, et qui est visiblement le Dieu que vous cherchez : lisez le Système de la nature, l’Histoire de la nature, les Principes de la nature, la Philosophie de la nature, le Code de la nature, les Lois de la nature, etc.[1].

Évhémère.

Et si je vous disais qu’il n’y a point de nature, que tout est art dans l’univers, et que l’art annonce un ouvrier.

Callicrate.

Comment donc! point de nature, et tout est art ? Quelle idée creuse !

Évhémère.

C’est un philosophe peu connu, et peu compté peut-être parmi les philosophes, qui le premier a avancé cette vérité ; mais elle n’est pas moins vérité pour être d’un homme obscur[2]. Vous

  1. Le Système de la nature est l’ouvrage du baron d’Holbach, dont Voltaire a déjà parlé ; voyez Dictionnaire philosophique, article Dieu, quatrième section (tome XVIII, page 369). Je présume que l’ouvrage que Voltaire appelle Histoire de la nature est celui de Robinet, intitulé de la Nature, 1761-68, quatre volumes in-8o, auxquels on joint les Considérations philosophiques sur la gradation naturelle des formes de l’être, ou les Essais de la nature qui apprend à former l’homme, 1768, in-8o. Les Principes de la nature suivant les opinions des anciens philosophes, 1725, deux volumes in-12, ont pour auteur F.-M.-P. Colonne.

    La Philosophie de la nature est de Delisle de Sales.

    Le Code de la nature, 1755, in-12, a été attribué à Diderot, mais est de Morelly, auteur du Naufrage des îles flottantes, ou la Basiliade du célèbre Pilpay, poëme héroïque, 1753, in-12. Quant à l’ouvrage que Voltaire appelle Lois de la nature, je ne sais quel il est. (B.)

    Voltaire reparle de quelques-uns de ces ouvrages dans l’article xi du Prix de la justice et de l’humanité ; voyez ci-après.

  2. C’est de lui-même que M. de Voltaire parle ici. (K.) — Voyez Dictionnaire philosophique, au mot Nature, tome XX, page 115.