Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
526
DIALOGUES

poudre exterminante jusqu’à celle d’enfiler des aiguilles, il n’y a rien que vous n’appreniez, dit-on, en lisant cet extrait.

Callicrate.

Que parlez-vous de poudre exterminante ? Est-ce quelque poison inventé par les Anitus et les Mélitus pour délivrer la terre des philosophes ?

Évhémère.

Non, c’est une admirable expérience de physique, faite par un bon prêtre[1] qui n’y entendait pas finesse : cette expérience, réduite en art, imite parfaitement les éclairs et la foudre. Elle a même de bien plus terribles effets ; elle embrase et elle détruit jusqu’aux plus solides remparts. Si notre Alexandre avait connu cette invention, il n’aurait pas eu besoin de sa valeur pour conquérir le monde. Ce qui vous étonnera, c’est que cet art de tout écraser est employé dans les solennités et dans les plaisirs. Célèbre-t-on les noces d’un prince, ce n’est point avec des harpes et des lyres, comme chez les Grecs, c’est au feu des éclairs et au retentissement du tonnerre, comme lorsque Jupiter vint coucher avec Sémélé dans tout l’appareil de sa gloire.

Callicrate.

Ce que vous me dites m’épouvante : c’est un monde nouveau, où l’on est à tout moment près d’être foudroyé ; mais ceux qui échappent jouissent d’un grand spectacle.

Évhémère.

Si je rassemblais en effet tout ce que ces modernes étrangers ont inventé en divers temps, vous les prendriez pour des géants auprès de qui nos Grecs ne sont que des enfants qui promettent d’être un jour des hommes.

Ne vous étonnerais-je pas si je vous disais que ces prétendus barbares ont su faire avec du simple sable des espèces de diamants polis de plus de cinq pieds de haut et de large, qui réfléchissent tous les objets mieux que le petit miroir d’argent consacré par la belle Phryné dans le temple de Vénus, et qui laissent un libre passage à la lumière dans les maisons, en les garantissant des injures de l’air ? Vous dirai-je à quel point ils perfectionnent tous les arts qui flattent les sens, et qui contribuent à la douceur de la vie ? M’en croirez-vous quand je vous apprendrai que leurs villes capitales sont dix fois plus grandes, plus peuplées que celles d’Athènes et de Syracuse, et qu’elles sont remplies, dans l’espace de plus de trente stades, d’ouvrages magnifiques en

  1. Voyez tome XII, page 19.