Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/72

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ils lui conterent tout ce qui leur était arrivé. Jacob leur dit : s’il est nécessaire que j’envoie mon fils Benjamin, faites ce que vous voudrez. Prenez les meilleurs fruits de ce pays-ci dans vos vases, un peu de résine, de miel, de storax, du térébinthe et de la menthe ; portez aussi avec vous le double de l’argent que vous avez porté à votre voyage, de peur qu’il n’y ait eu de la méprise… ils retournerent donc en égypte avec l’argent. Ils se présenterent devant Joseph, qui, les ayant vus et Benjamin avec eux, dit à son maître d’hôtel : faites-les entrer ; tuez des victimes ; préparez un dîner, car ils dîneront avec moi à midi [1]… Joseph, ayant levé les yeux et ayant remarqué son frere Utérin, il leur demanda : est-ce là votre petit frere dont vous m’avez parlé ? Et il lui dit : Dieu te favorise, mon fils. Et il sortit promptement, parce que ses entrailles étaient émues sur son frere, et que ses larmes coulaient. On servit à part Joseph, et les égyptiens qui mangeaient avec lui, et les freres de Joseph aussi à part : car il est défendu aux égyptiens de manger avec des hébreux : ces repas seraient regardés comme prophanes. Les fils de Jacob s’assirent donc en présence de Joseph, selon l’ordre de leur naissance, et ils furent fort surpris qu’on donnât une part à Benjamin cinq fois plus grande que celles des autres… or Joseph donna ordre à son maître d’hôtel d’emplir les sacs des hébreux de

    voyageant sans cesse, et plantant leurs tentes où ils pouvaient. Cependant le pillage de Sichem devait les avoir enrichis. La seule difficulté est de savoir comment Jacob et ses onze enfans avaient pu être soufferts dans un pays où ils avaient commis une action si horrible, et où toutes les hordes cananéennes devaient se réunir pour les exterminer. Au reste si la famine forçait les enfans d’Israël d’aller à Memphis, tous les cananéens, qui manquaient de bled, devaient y aller aussi. (Note de Voltaire.)

  1. les égyptiens avaient en horreur tous les étrangers, et se croyaient souillés s’ils mangeaient avec eux. Les juifs prirent d’eux cette coutume inhospitaliere et barbare. L’église grecque a imité en cela les juifs, au point qu’avant Pierre Le Grand il n’y avait pas un russe parmi le peuple qui eût voulu manger avec un luthérien, ou avec un homme de la communion romaine. Aussi nous voyons que Joseph en qualité d’égyptien fit manger ses freres à une autre table que la sienne ; il leur parlait même par interprete. La différence du culte, en ne reconnaissant qu’un même dieu, paraît ici évidemment. On immole des victimes dans la maison même du premier ministre, et on les sert sur table. Cependant il n’est jamais question ni d’Isis, ni d’Osiris, ni d’aucun animal consacré. Il est bien étrange que l’auteur hébreu de l’histoire hébraïque, ayant été élevé dans les sciences des égyptiens, semble ignorer entiérement leur culte. C’est encore une des raisons qui ont fait croire à plusieurs savans que Mosé, ou Moyse, ne peut être l’auteur du pentateuque. (id.)